mercredi 26 juin 2019

Mise à jour : pause (définitive ?) de Wormcore

Bonjour à toutes et à tous,

J'espère d'abord que le dernier article consacré au quatrième album de Periphery vous a intéressé.
J'écris ces quelques lignes pour préciser un peu l'avenir de ce blog. J'ai conscience que je n'ai pas non plus une communauté importante, mais si vous passez ici par hasard, vous comprendrez au moins dans quel état est le blog.

Nous arrivons vers la dernière semaine de juin 2019 au moment où je rédige ceci et j'annonce déjà faire une pause de deux mois sur la rédaction d'articles musicaux pour plusieurs raisons.
La première est une forme de lassitude et de fatigue. Mes engagements et responsabilités se multiplient et tenir une régularité mensuelle reste assez difficile. Mais, pour l'assurer, j'ai tendance à me forcer à écouter des albums et à écrire des chroniques tout bêtement parce qu'il faut bien alimenter le blog. Cependant, je trouve cela peu intéressant et j'ai simplement l'impression de bâcler la rédaction des articles, d'écrire sans grande conviction. Autant vous dire que la qualité n'est pas au rendez-vous à mes yeux. Certains auront aussi peut-être remarquer que je n'écris quasiment que des chroniques au détriment d'autres formats plus originaux, la faute à un manque de temps pour réfléchir à la conception de chaque nouvel article.
Je finis également par me perdre dans mes objectifs de rédaction, une seconde raison de prendre un peu de distance avec ce blog. Mes articles finissent par être essentiellement adressés davantage aux amateurs de metal qu'à d'autres, alors que je me souviens avoir eu pour objectif d'ouvrir le plus possible mon lectorat. Mais je pars au plus pressé et écrit avec mes tripes, à travers le regard d'un amateur de metal qui parle de ce qu'il connaît sans prendre en compte le fait que beaucoup ne savent pas forcément de quoi je parle. C'est assez frustrant pour quelqu'un qui voulait justement essayer de partager sa passion au plus grand nombre. Pour la petite histoire, une personne m'a affirmé n'avoir rien compris à mon dernier article par manque de références, chose que je ne peux clairement pas blâmer et qui est pour moi un bon signal sur ma rédaction. La chronique finit également par accumuler des poncifs vraiment énervants qui donnent l'impression de lire un article qui ressemble à mille autres. Mais c'est aussi un exercice délicat de refuser de se limiter à une niche tout en étant juste dans ses propos. On a vite fait d'écrire des approximations voire des erreurs en voulant rendre son discours abordable.
Finalement, j'ai aussi quelques idées qui me sont venues en tête. Pour ceux qui ne me suivraient pas sur Twitter, j'avais affirmé avoir déjà eu un déclic en écrivant la chronique sur As Daylight Dies de Killswitch Engage, dont la rédaction avait été très particulière. Mais je n'ai pas encore vraiment exploiter cette manière de rédiger. Tout cela pour dire que les deux mois de pause vont me servir à revoir mes objectifs et ma direction dans ma rédaction. Concrètement, cela veut dire que ce blog pourrait être laissé de côté au profit d'une nouvelle structure. Les articles ne seront pas perdus, mais si la refonte est importante, je ne vois pas l'intérêt de continuer à écrire sur le même support. Je ne sais pas encore très bien quelle forme cela va prendre, mais vous en saurez plus d'ici quelques temps. En tout cas, je n'abandonne pas la rédaction musicale.

Restez à l'écoute, profitez bien de l'été et mettez du gros son dans vos enceintes !

- Julien

mercredi 12 juin 2019

Chronique : "Periphery III: Select Difficulty" de Periphery

On aurait pu penser que Periphery étaient au sommet de leur art après le double-album Juggernaut. Souvenez-vous, cet album-concept finement élaboré nous permettait de voir la capacité de la formation à livrer une œuvre technique, cohérente et à l'atmosphère bien maîtrisée. Si Periphery III: Select Difficulty n'est pas un album-concept, force est de constater que le groupe de Washington D.C. trouve toujours des moyens de se surpasser en confirmant ses acquis et en amenant de nouveaux éléments sur la table.


        Une chose remarquable est que, paradoxalement, Periphery parvient à faire du neuf avec du vieux en faisant revenir quelques éléments typiques de leur premier album. Cela s'applique déjà aux conditions d'enregistrement puisque la plupart des parties ont été enregistrées dans le home-studio de Misha Mansoor, une situation typique du musicien et producteur de la scène djent qui enregistre ses morceaux à la maison avec les moyens du bord. De même, les principales parties vocales ont été réalisées dans le studio personnel du vocaliste Spencer Sotelo. La batterie, quant à elle, a été enregistrée en Angleterre, dans une installation plus importante gérée par le bassiste et producteur Adam "Nolly" Getgood, seule exception à la règle. Les réminiscences du premier album s'appliquent aussi musicalement. On remarque déjà que deux anciennes démos ont été retravaillées et remises au goût du jour, en l'occurrence, Absolomb et Chocolate Flobs, renommée Motormouth pour l'occasion. On retrouve ainsi des riffs et des parties typiquement influencés par Meshuggah de manière plus nette dans ces morceaux-là, mais également dans d'autres comme Habitual Line-Stepper ou Flatline. Pour le reste, Periphery nous assène toujours de son style technique, virtuose et varié puisque l'on garde un certain partage des tâches d'écriture initié dans les albums précédents : les démos évoquées précédemment sont évidemment issues de l'esprit de Misha Mansoor tandis que certains reconnaîtront par exemple la patte stylistique de Mark Holcomb dans The Way the News Goes... On retrouve également quelques traits de Juggernaut comme l'utilisation des chœurs (Marigold, The Way the News Goes..., Habitual Line-Stepper, Lune), l'allure de certaines mélodies (cette impression d'avoir entendu la mélodie du refrain de Prayer Position dans des morceaux précédents...) ou la présence croissante d'éléments électroniques (Remain Indoors, les leads d'Absolomb qui sont doublés par des lignes de synthétiseur analogique). La grande nouveauté de cet album est la présence d'une formation orchestrale qu'on retrouve dans plusieurs morceaux et dans diverses transitions, de quoi donner un caractère épique à l'album (Marigold, Absolomb, Lune).
        Avec autant d'éléments différents, on pourrait se demander si Periphery III ne risque pas de retomber dans un défaut qui leur était reproché pour leur premier album, à savoir, l'impression d'une succession de démonstrations techniques plutôt qu'un ensemble cohérent tel qu'on a pu le voir avec Juggernaut. Si ce quatrième opus n'est pas un album-concept qui forme un tout, le groupe n'a plus pour autant l'intention de présenter une heure d'esbroufe. Un élément qui s'est dessiné avec Juggernaut et qui revient dans cet album est la place plus importante consacrée aux parties vocales dans le processus d'écriture, ce qui permet de penser de manière plus effective au sens des morceaux. Encore une fois, c'est un travail sur les atmosphères qui permet de rendre un ensemble cohérent entre l'instrumentation et la voix et de varier les humeurs. Nous pouvons ainsi retrouver dès l'ouverture de l'album des morceaux particulièrement agressifs comme The Price is Wrong, qui attaque directement sur un blast beat et ne présente pas un seul passage en chant clair. Au lieu de cela, Spencer Sotelo hurle sa rage contre le gouffre entre sa génération et celle qui la suit et la bêtise dont cette dernière peut faire preuve. De manière plus générale, nous retiendrons d'ailleurs la propension du chant hurlé à être beaucoup plus incisif qu'auparavant, comme nous le montrent par exemple les growls dans Flatline. L'album aborde également des thèmes assez sérieux. Marigold, par exemple, ironise sur notre société qui privilégie le matériel au spirituel et voit la mort comme une chose angoissante et vite arrivée, le tout dans une atmosphère épique et très influencée par le vieux rock progressif. Un autre morceau notable est Flatline, qui traite du problème du harcèlement. Ce morceau montre d'ailleurs une structure très particulière : une première partie directe et très dynamique qui présente le calvaire, la torture mentale et l'appel à l'aide du harcelé ; puis une transition vers une atmosphère plus bienveillante, comme une réponse à cet appel à l'aide. Enfin, ce second pan de Flatline est assez représentatif de plusieurs morceaux de l'album qui se veulent empreint d'un message positif. The Way the News Goes..., Absolomb et Lune font clairement partie de cet ensemble qui font état d'un message d'espoir face à des problématiques relationnelles ou de santé mentale. Ces trois morceaux présentent d'ailleurs une progression mélodique récurrente que l'on trouve en fin de morceau en guise de transition. Cette progression mélodique est en fait celle de Lune qui clôt l'album en apothéose sur le thème de l'amour, visiblement cher au chanteur Spencer Sotelo comme il le fait comprendre en concert.

        Avec ce quatrième album, Periphery montre qu'ils savent toujours faire passer des émotions et ne font pas de démonstrations purement gratuites. Aussi le fait de ne pas faire d'album-concept leur permet de conserver une part d'expérimentation musicale et de mobiliser à nouveau des anciennes influences sans pour autant donner l'impression d'une régression. L'ensemble est ainsi très efficace et fait vivre de grands moments de metal progressif moderne. On ne peut que souhaiter que cela se poursuive avec Periphery IV: Hail Stan, sorti quelques mois avant la publication de cet article.

mercredi 22 mai 2019

Chronique : "The Ills of Modern Man" de Despised Icon

Bien avant que le deathcore n'explose vers la fin des années 2000, quelques formations s'étaient déjà essayé avec succès à mélanger le hardcore et le death metal et ont même permis de propulser le genre. Parmi ses groupes, les québécois de Despised Icon reste l'un des noms qui revient le plus souvent lorsqu'il s'agit de de représenter le sous-genre. Reformé en 2014 après une séparation de quatre années, c'est pourtant depuis 2002 qu'il sévissent et font mûrir leur style jusqu'à sortir en 2007 The Ills of Modern Man. Cet album recommandable à quiconque voudrait découvrir le groupe montre leur maîtrise du genre grâce à un sens de la composition suffisamment fin, combiné aux thèmes traités par les morceaux. Ces atouts font de l'album une expérience éprouvante et dramatique.


        Comme dit précédemment, Despised Icon est l'un des groupes qui a permis l'émergence du deathcore. Au death metal, ils empruntent la frénésie des blast beats, les roulement de double grosse caisse, les riffs extrêmement lourds relevant et des passages typés brutal death metal (The Ills of Modern Man, Oval Shaped Incisions) ou encore le chant guttural de Steve Marois, qui s'adonne même parfois au fameux pig squeals (In the Arms of Perdition, Furtive Monologue, A Fractured Hand). La composante hardcore est quant à elle repérable par les passages plus groovy et à tempo modéré (ce fameux break accompagné de gang vocals dans In the Arms of Perdition, Quarantine), les breakdowns (les intros de A Fractured Hand et Fainted Blue Ornaments, la conclusion de Oval Shaped Incisions) et les hurlements de Marois et surtout d'Alexandre Erian. Mais au-delà du simple mélange, Despised Icon font preuve d'une maîtrise instrumentale et d'une écriture irréprochables. Certains vont jusqu'à rapprocher leur musique d'une forme de death metal technique, ce qui semble assez pertinent. La plupart des morceaux montrent en effet de nombreux changements de tempo et divers cassures dans les différentes dynamiques. Les éléments cités plus haut viennent aussi parfois à se fondre les uns dans les autres dans une même section comme on peut l'entendre dans Quarantine avec ces riffs typés hardcore sur des blast beats. Certaines parties sont également assez déstructurées et évoquent presque des genres comme le mathcore (Sheltered Reminescence, Tears of the Blameless, Oval Shaped Incisions). On trouve enfin quelques marques plus atmosphériques, notamment ce lead dans l'intro de A Fractured Hand.
        Nous nous retrouvons avec un style brutal, presque sans temps mort et qui colle très bien aux thèmes tourmentés qui traversent l'album. "Les maux de l'homme moderne" représentent les responsabilités de l'adulte contemporain et les défis auxquels il est confronté et que les voix de l'album peinent à aborder et surmonter. Des morceaux comme The Ills of Modern Man et Oval Shaped Incisions renvoient à ces failles dans les attentes que l'on peut avoir de ces responsabilités et la réalisation du poids qu'elles peuvent prendre. La culpabilité et les remords sont également des thèmes très présents, d'ailleurs souvent envers un second sujet, sans doute l'être aimé (Furtive Monologue, A Fractured Hand). Enfin, on peut difficilement évoquer ces thèmes sans évoquer ceux de la santé mentale, de l'isolement et de la dépression (In the Arms of Perdition, le contemplatif Sheltered Reminescence, Nameless). Les voix qui s'expriment tout au long de l'album reflètent un esprit chaotique et agité et la musique qui les accompagne représente bien l'impossibilité pour cet esprit d'être serein jusqu'au bout de l'album. Le final Fainted Blue Ornaments accorde un bref sursis par quelques arpèges de guitare claire, mais ce répit sert justement à préparer et relancer un final aux allures dramatiques accompagnés par ses mélodies mélancoliques et les hurlements qui s'éternisent jusqu'au fondu final.

        Avec The Ills of Modern Man, Despised Icon délivrent un metal plus profond que ne pourrait le laisser penser la frénésie de leur style. Leur sens rigoureux de la composition et la force de leurs thèmes les rend bien plus pertinents que beaucoup de groupes de deathcore qui ne se contentent que d'appliquer quelques formules toutes faites pour simplement donner une musique brute de décoffrage. Même si la musique est un divertissement, elle est aussi un moyen d'expression, deux aspects que les québécois exploitent parfaitement bien.

mercredi 17 avril 2019

Chronique : l'éponyme de Chimaira

Il y a un an, je vous parlais de la volonté du groupe Chimaira de s'imposer comme pilier du metal moderne américain avec The Impossibility of Reason. Cet album avait déjà l'intention de faire sortir le groupe de l'étiquette nu metal en avançant un style plus direct et viscéral. En 2005, la chimère enfonce le clou avec un album éponyme. Roadrunner Records étant connus pour imposer à leurs groupes de faire des albums à fort potentiel commercial, Chimaira s'est assuré auprès du label de ne faire aucun compromis et de privilégier un style propre, brutal et épique. L'essai est-il transformé ?


        A priori, l'album s'inscrit dans les mêmes conditions que l'album précédent puisque toujours produit par Ben Schigel et Mark Hunter dans les Spider Studios de Cleveland. En revanche, certains paramètres divergent comme l'introduction de Kevin Talley derrière les fûts, à l'époque ancien batteur pour diverses formations de death metal comme Misery Index ou Dying Fetus. Le choix n'est même certainement pas anodin quand on constate que Chimaira poursuit effectivement sa progression vers un style encore plus brutal. Tout ce qui permettait d'assigner à Chimaira l'étiquette "nu metal" est ainsi complètement évacué dans cet album : nous avons affaire à un groove/thrash metal influencé largement influencé par des groupes comme Metallica ou Pantera. J'en veux pour preuve les riffs pleins de groove et de lourdeur qui alimentent l'album. Les soli sont également omniprésents puisqu'il n'y a pas un seul morceau qui n'en ait pas. Côté rythmique, la dynamique fait la part belle aux tempos modérés, avec quelques accélérations bien senties comptant quelques blasts beats (Nothing Remains, Comatose, Pray for All). Nous pouvons faire une mention spéciale à Everything You Love pour ces roulements de grosse caisse hallucinants sur un tempo lent. Le chant a également quelque peu évolué : si Mark Hunter montre qu'il est de plus en plus aguerri avec son chant hurlé, il a considérablement réduit son chant clair qui se trouve souvent relégué derrière les hurlements (Nothing Remains, Salvation, Left for Dead, Lazarus). Les samples, quant à eux, sont toujours aussi discrets mais contribuent à créer une atmosphère assez malsaine et pesante, notamment grâce à ces bruitages tout droit sortis de films d'horreur (Nothing Remains, Save Ourselves, Inside the Horror, Lazarus). De manière générale, le sens de la composition des musiciens de Cleveland s'est affiné grâce à des morceaux plus longs et passants par de nombreux changements de dynamique et de tempo.
        Si le style musical s'assombrit, cela s'applique également aux thèmes qui traversent Chimaira. Les thèmes de la dépression et du suicide présents dans le premier album réapparaissent dans l'éponyme, mais sont traités de manière assez différente. Le côté morbide est à nouveau exploité sur des morceaux comme Nothing Remains ou Inside the Horror, mais le style plus incisif et le choix des samples pour agrémenter le morceau rende le traitement plus viscéral. On ajoute à cela un aspect épique, exploité dans le pont de Nothing Remains et surtout dans Salvation, donnant un côté extrêmement grave et solennel aux morceaux. Le final Lazarus, écrit en hommage à un ami défunt de Mark Hunter, combine l'ensemble de ces aspects qui en font un morceau de clôture extrêmement fort. De Comatose à Bloodlust, les chansons sont plus orientées vers les thèmes des représailles et les textes font même preuve d'un certain sadisme. Le propos devient plus proche du fond de The Impossibility of Reason, mais l'atmosphère malsaine de l'album le rend d'autant plus fort. Beaucoup de ces morceaux jouent sur la lenteur du tempo et le chant hurlé de Mark Hunter, ce qui créé un effet de lourdeur considérable et bienvenu.

        Ironiquement, Chimaira aura souffert d'un manque de soutien et de communication de la part du label Roadrunner Records, ce qui est dommage pour un album plus sombre, plus brutal et plus finement composé. Cela annonce la couleur pour la suite puisque Chimaira quittera le label et tentera de se refaire avec un album deux ans plus tard. A suivre...

samedi 23 février 2019

Chronique : "Demanufacture" de Fear Factory

Les californiens de Fear Factory font partie de cette poignée de groupes dont le style est reconnaissable entre mille. Partis du death metal et du grindcore avec des touches industrielles, leur signature sonore se dessine plus clairement avec Demanufacture, publié en 1995, un album-concept à l'atmosphère massive, clinique et froide.


        D'entrée de jeu, l'album nous plonge dans un univers bien particulier : avec ses nappes de synthé, ses bruits de machine et ses riffs syncopés, le titre d'ouverture Demanufacture pose les bases de l'album. L'étiquette groove metal serait facilement applicable à cet album, le rythme étant un de ses éléments essentiels. A de rares exceptions près, les guitares, la basse et la double grosse caisse sont systématiquement calés sur les mêmes motifs, donnant cette impression mécanique qui colle parfaitement à l'atmosphère du disque. La rythmique est même généralement accentuée par des bruits industriels percussifs dans des morceaux comme Body Hammer, Flashpoint ou Pisschrist. Le mixage s'assure de la superposition de tous ces éléments et rend notamment la batterie extrêmement froide, comme si elle avait été justement programmée comme une boîte à rythme. Cela à de quoi donner une idée de la précision de la performance du batteur Raymond Herrera, une précision qui s'applique aussi au jeu de guitare de Dino Cazares. Quant aux dynamiques en elles-mêmes, les motifs sont généralement à tempo modéré, avec quelques réminiscences du Amen break par moments (Self Bias Resistor, Zero Signal, H-K (Hunter-Killer)). Un autre élément remarquable à l'époque de la sortie de l'album : c'est l'un des premiers disques qui montrent une alternance entre un chant hurlé et un chant clair, assurés par la voix grave de Burton C. Bell. On pourrait également parier sur le fait que ce soit le premier à mélanger les deux techniques en un seul souffle comme on peut l'entendre à la fin de Demanufacture et dans Replica.
        On ne peut clairement pas dissocier ce deuxième album de Fear Factory de son concept. Très inspiré par le contexte dans lequel vivait le groupe à l'époque de l'enregistrement et par des films comme Terminator ou Blade Runner, Demanufacture présente le point de vue d'un homme plongé dans une société dominée par les machines, un concept qui donne son sens à l'esthétique mécanique de l'album. Beaucoup des morceaux sont un cri de rébellion du dominé contre le dominant comme Demanufacture, Self Bias Resistor, New Breed ou H-K (Hunter-Killer). Mais d'autres sont également des cris de souffrances comme le montrent les refrains et le piano de Zero Signal, les paroles de Replica ou le chant désabusé de Dog Day Sunrise, une reprise du groupe Head of David. Une chose remarquable est le paradoxe que crée la voix tout au long de l'album. Il serait prudent de considérer qu'elle est le seul facteur humain dans une musique aussi mécanique. La seule exception la plus explicite serait peut-être le chant modifié à la fin de Pisschrist, celui des machines narguant les êtres humains qui n'auraient plus de "sauveur", autrement dit, de Dieu. A l'inverse, le chant volontairement faux de Flashpoint serait signe d'une humanité imparfaite, qui aurait des failles. Mais certains éléments peuvent laisser planer un doute quant à l'humanité de la voix qui chante dans l'album, comme le recours au répétitions peut-être mécaniques de certaines lignes de chant (Zero Signal, New Breed, A Therapy of Pain) ou la tendance à l'analogie entre l'humain et la machine visible dans les titres Zero Signal, Replica ou New Breed.

Avec Demanufacture, Fear Factory aura influencé grand nombre de groupes, que ce soit à travers la précision rythmique chirurgicale des instruments, le chant de Burton C. Bell, l'atmosphère futuriste tout droit issue du cyberpunk ou l'ensemble de ces éléments. Certains diront même que le groupe a initié tout un sous-genre, baptisé cyber metal, dont les suisses de Sybreed sont de grands représentants. Quoi qu'il en soit, Demanufacture est l'un de ces albums cultes qui ont fait l'histoire du metal.

mercredi 16 janvier 2019

Chronique : "As Daylight Dies" de Killswitch Engage

Le milieu des années 2000 est un moment charnière pour le metalcore mélodique et moderne. De plus en plus de groupes émergent et les plus vieux s'imposent comme les maîtres du genre. Parmi ces derniers, Killswitch Engage constitue une référence incontournable. Le pari de mêler des éléments du metalcore déjà existant avec ceux du death metal mélodique fonctionne parfaitement bien et leur permet de grimper facilement dans l'estime du public. Leur quatrième album As Daylight Dies, sorti en 2006, leur permet de confirmer leur statut. Mais au-delà de cette confirmation, c'est aussi l'expérience musicale de cet opus qui va nous intéresser, donnant une impression d'oscillation entre le l'efficacité du terre-à-terre et le dépassement par le grandiose.


         As Daylight Dies figurerait tout d'abord comme un très bon représentant du metalcore mélodique tel que nous le connaissons. Nous ne pouvons pas négliger les traits typiques du genre que sont les riffs syncopés et hachés, portés par un son de guitare très enrobé et souvent harmonisés à la manière d'Iron Maiden ou d'In Flames (Daylight Dies, Eye of the Storm, Break the Silence) ; la variété des dynamiques rythmiques qu'il s'agisse des accélérations menant parfois au blast beat (Reject Yourself), des motifs typés thrash ou hardcore (This Is Absolution, Unbroken, Still Beats Your Name) ou les ralentissements de tempo (le breakdown de Daylight Dies, le mastodonte Desperate Times) ; ou enfin la notable alternance entre chant hurlé et chant clair de Howard Jones, d'une puissance vocale certaine que ce soit avec ses hurlements bestiaux ou ses refrains riches en vibrato. Au-delà de tout cela, ce qui peut frapper à l'écoute d'As Daylight Dies est la variété de dynamiques sonores tout au long de l'album. Killswitch Engage joue volontiers avec les moments de frénésie un peu plus légers, quoiqu'épiques par moments (This Is Absolution, Unbroken, Eye of the Storm, Reject Yourself). Mais le groupe amène également des passages de ce que j'oserais appeler une lourdeur aérienne, dans lesquels le ralentissement du tempo souvent couplé au chant clair donne une impression très solennelle, qui finit par contaminer l'intégralité de l'album à force de le réécouter. L'ouverture de l'album par Daylight Dies, avec une lenteur qui se dynamise progressivement, nous donne clairement une idée de ce que l'auditeur peut attendre du reste du disque. Le morceau Break the Silence, plutôt lourd et lent, en est un autre bon exemple, avec son introduction qui annonce une bombe prête à exploser ou son refrain épique, porté par la progression d'accords imposante et les voix d'Howard Jones et du guitariste Adam Dutkiewicz. D'autres morceaux comme The Arms of Sorrow, My Curse, Still Beats Your Name, Desperate Times ou encore Reject Yourself contiennent leur lot de ce genre de moments qui touchent au sublime. La production, dirigée par Dutkiewicz, amène aussi à ce genre d'impression, non seulement par l'accumulation des pistes de guitares mais aussi grâce à un son de batterie particulier qui a l'air de porter le monde que représente cet album ou le son de basse très saturé.
        L'album sert avec cela un propos qui se veut résolument positif. Cela ne semble pas évident dans certains titres tels que Daylight Dies, The Arms of Sorrow, My Curse ou Desperate Times, qui pointent une humanité courant à sa perte et, comme sont titre l'indique, ne pouvant voir que "la lumière du jour mourir". Cependant, d'autres morceaux comme This is Absolution, Unbroken ou Eye of the Storm transmettent des paroles plus combatives, généralement celles d'une voix prête à soutenir un être second. Ainsi les morceaux ayant l'air de présenter des thèmes plus sombres sont des incitations à la prise de conscience et montrent même, dans certaines lignes, qu'il y a toujours de quoi tirer quelque chose de positif face à l'adversité ou à des situations difficiles en les abordant et en les exploitants de manière adéquate. Finalement, l'équilibre entre la légèreté et la lourdeur dont nous faisons l'expérience musicale dans As Daylight Dies correspond bien à ce mélange entre le constat d'un problème et son espoir de résolution par la combativité.

        La prose ci-dessus semblera peut-être abstraite pour la plupart des lecteurs. Mais la réécoute d'As Daylight Dies pour préparer cet article m'a permis de saisir quelque chose qui reste difficile à exprimer de manière claire. Aussi peut-être que cette expérience ne tient qu'à moi et qu'on écoutera surtout As Daylight Dies comme un album de Killswitch Engage en tant que fer de lance du metalcore mélodique. Toujours est-il que j'espère avoir montrer un angle original sous lequel aborder cet album.