samedi 23 février 2019

Chronique : "Demanufacture" de Fear Factory

Les californiens de Fear Factory font partie de cette poignée de groupes dont le style est reconnaissable entre mille. Partis du death metal et du grindcore avec des touches industrielles, leur signature sonore se dessine plus clairement avec Demanufacture, publié en 1995, un album-concept à l'atmosphère massive, clinique et froide.


        D'entrée de jeu, l'album nous plonge dans un univers bien particulier : avec ses nappes de synthé, ses bruits de machine et ses riffs syncopés, le titre d'ouverture Demanufacture pose les bases de l'album. L'étiquette groove metal serait facilement applicable à cet album, le rythme étant un de ses éléments essentiels. A de rares exceptions près, les guitares, la basse et la double grosse caisse sont systématiquement calés sur les mêmes motifs, donnant cette impression mécanique qui colle parfaitement à l'atmosphère du disque. La rythmique est même généralement accentuée par des bruits industriels percussifs dans des morceaux comme Body Hammer, Flashpoint ou Pisschrist. Le mixage s'assure de la superposition de tous ces éléments et rend notamment la batterie extrêmement froide, comme si elle avait été justement programmée comme une boîte à rythme. Cela à de quoi donner une idée de la précision de la performance du batteur Raymond Herrera, une précision qui s'applique aussi au jeu de guitare de Dino Cazares. Quant aux dynamiques en elles-mêmes, les motifs sont généralement à tempo modéré, avec quelques réminiscences du Amen break par moments (Self Bias Resistor, Zero Signal, H-K (Hunter-Killer)). Un autre élément remarquable à l'époque de la sortie de l'album : c'est l'un des premiers disques qui montrent une alternance entre un chant hurlé et un chant clair, assurés par la voix grave de Burton C. Bell. On pourrait également parier sur le fait que ce soit le premier à mélanger les deux techniques en un seul souffle comme on peut l'entendre à la fin de Demanufacture et dans Replica.
        On ne peut clairement pas dissocier ce deuxième album de Fear Factory de son concept. Très inspiré par le contexte dans lequel vivait le groupe à l'époque de l'enregistrement et par des films comme Terminator ou Blade Runner, Demanufacture présente le point de vue d'un homme plongé dans une société dominée par les machines, un concept qui donne son sens à l'esthétique mécanique de l'album. Beaucoup des morceaux sont un cri de rébellion du dominé contre le dominant comme Demanufacture, Self Bias Resistor, New Breed ou H-K (Hunter-Killer). Mais d'autres sont également des cris de souffrances comme le montrent les refrains et le piano de Zero Signal, les paroles de Replica ou le chant désabusé de Dog Day Sunrise, une reprise du groupe Head of David. Une chose remarquable est le paradoxe que crée la voix tout au long de l'album. Il serait prudent de considérer qu'elle est le seul facteur humain dans une musique aussi mécanique. La seule exception la plus explicite serait peut-être le chant modifié à la fin de Pisschrist, celui des machines narguant les êtres humains qui n'auraient plus de "sauveur", autrement dit, de Dieu. A l'inverse, le chant volontairement faux de Flashpoint serait signe d'une humanité imparfaite, qui aurait des failles. Mais certains éléments peuvent laisser planer un doute quant à l'humanité de la voix qui chante dans l'album, comme le recours au répétitions peut-être mécaniques de certaines lignes de chant (Zero Signal, New Breed, A Therapy of Pain) ou la tendance à l'analogie entre l'humain et la machine visible dans les titres Zero Signal, Replica ou New Breed.

Avec Demanufacture, Fear Factory aura influencé grand nombre de groupes, que ce soit à travers la précision rythmique chirurgicale des instruments, le chant de Burton C. Bell, l'atmosphère futuriste tout droit issue du cyberpunk ou l'ensemble de ces éléments. Certains diront même que le groupe a initié tout un sous-genre, baptisé cyber metal, dont les suisses de Sybreed sont de grands représentants. Quoi qu'il en soit, Demanufacture est l'un de ces albums cultes qui ont fait l'histoire du metal.

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