lundi 28 août 2017

Chronique : "Iowa" de Slipknot

Fort du succès de leur premier album et après avoir enchaîné les scènes dont celle prestigieuse du Ozzfest, Slipknot était attendu au tournant pour la sortie de son deuxième album en 2001. La pression était même tellement élevée qu'elle eut un impact impressionnant sur le groupe, principalement sur la relation entre ses membres, ceux-ci décrivant la production de l'album comme étant la période la plus sombre de l'histoire du groupe. Qu'à cela ne tienne, de cet amas d'émotions négatives, de haine et de dégoût est né Iowa, considéré comme l'album le plus sombre et le plus violent de Slipknot.


        Si Ross Robinson est toujours aux commandes de la production, il a quelque peu changé son approche pour capter la musique du groupe. Là où le premier album cherchait à rendre l'énergie des performances du gang masqué avec une production sale et suante, le son de ce deuxième opus est beaucoup plus propre, de quoi montrer la facette plus technique des compositions ; mais toujours en gardant un aspect massif dû au line-up étendu par les percussions et les samples. En ce qui concerne les morceaux en eux-mêmes, on garde cette dualité de dynamiques du premier album entre les morceaux violents et nerveux, et ceux plus lents et dérangeants. Cependant, l'ensemble se veut encore une fois beaucoup plus sombre qu'auparavant. A de rares exceptions près (I Am Hated), les influences hip-hop et le chant rappé de Corey Taylor se font plus rares. Le groupe laisse place à des tendances musicales plus extrêmes, lorgnant parfois vers le death metal pour les morceaux les plus agressifs (les blast beats de Disasterpiece, les riffs rapides et la double pédale de The Heretic Anthem). Pour les pièces plus lentes, un travail est apporté sur l'atmosphère malsaine, parfois laissant de côté les guitares au profit des percussions, des samples et surtout de la voix dérangée de Taylor (Skin Ticket, Iowa). Si je mentionne ce dernier pour la deuxième fois, c'est notamment parce que son chant est ce qu'on retient assez vite de l'album. Ses hurlements gutturaux et déments sont plus présents que jamais et donnent une impression de monstruosité bienvenue. Il se montre également capable d'insuffler de la mélodie dans ses lignes (My Plague, Left Behind, les deux singles de l'album). A noter que Taylor a enregistré certaines de ses parties dans des circonstances particulières : je vous laisse chercher la manière dont il a exécuté sa performance pour le glauque Iowa, qui conclut l'album.
        La musique entraîne fatalement l'auditeur dans une atmosphère propice à l'agression sonore. Encore une fois, à l'époque de la production de l'album, il s'agissait pour les membres de Slipknot de canaliser leur haine et la violence ambiante à travers leur musique. Avec le recul, certains d'entre eux déclarent même être effrayés par leur création. Certains morceaux font ainsi preuve d'une misanthropie explicite (People = Shit, Disasterpiece, The Heretic Anthem) quand d'autres relèvent davantage du dérangement mental ( (515) avec la voix du DJ Sid Wilson, Skin Ticket, Iowa). Au-delà de ces deux aspects, la souffrance est également un élément présent au sein des paroles (le dépressif Everything Ends, The Shape, Metabolic). On peut estimer que la voix qui s'exprime tout au long d'Iowa est à la fois celle d'une victime qui souffre le martyr et d'un bourreau qui crache sa haine à travers des formules explicites et remplies de jurons, ou qui use de son imagination pour décrire son état mental et des scènes de torture sadique. Cependant, comme l'illustre les paroles de Gently, il s'agit sûrement d'une façade, d'un jeu de rôle, notamment pour celui du bourreau. Slipknot exprime d'ailleurs des sentiments proprement humains, mais les poussent à leur paroxysme pour en tirer quelque chose de monstrueux, une facette encore accentuée par le port des masques. Iowa est finalement un pur objet de catharsis, que ce soit pour le groupe à travers leur créativité ou pour l'auditeur qui vit une expérience brutale. Ce dernier se sentira agressé par la violence musicale ou s'y identifiera pour évacuer une énergie négative tel que l'a fait le groupe.

        Slipknot peut être un groupe assez controversé : pour les esprits les plus conservateurs, c'est la violence directe et explicite qui pose problème. Pour apprécier Iowa, il faut certainement le prendre avec un certain recul et le voir comme le résultat d'une expression spontanée et comme un objet de défouloir. Quant à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le côté nu metal du premier album, ce deuxième essai propose quelque chose de bien plus brutal, propice à introduire les oreilles non habituées à des franges plus extrêmes du metal. Et si le mélange des genres leur posent problème, qu'ils sachent qu'ils ont un esprit aussi conservateurs que ceux qui abhorrent l'agression sonore.