mercredi 11 juillet 2018

Chronique : "Natural Born Killer" d'Emmure

Emmure est un groupe de metalcore qui ne laisse clairement pas indifférent. Autant adulée que conspuée, la formation est souvent au centre des discussions concernant la qualité de sa musique et les frasques de son meneur Frankie Palmeri. D'un côté, on remarque le côté simple, voire simpliste, de leur musique : un amalgame de metalcore, de deathcore et de nu metal faisant notamment la part belle aux breakdowns. Le fait est qu'Emmure a justement tendance à abuser de ce genre de section musicale. De l'autre, Palmeri est réputé pour faire partie de ces "têtes à claques" du metal moderne. Ses performances vocales sont relativement correctes, mais il s'agit surtout d'un certain narcissisme de sa part qui a eu tendance à ternir sa réputation. On peut ajouter à cela une part de mauvais goût : en 2014, l'album Eternal Enemies présente le titre Bring a Gun to School ("Amène un flingue à l'école") qui sera par la suite référé sans titre. Cette mauvaise réputation de Palmeri a sans doute contribué à un phénomène soudain qu'a été le départ de tous les autres membres du groupe en décembre 2015. Le vocaliste ne se laisse cependant pas démonter et recrute un line-up d'abord tenu secret puis révélé en 2016 avec lequel il sort l'album Look at Yourself l'année suivante. Le titre Natural Born Killer, qui a bénéficié d'un clip pour la promotion de l'album, présente alors un intérêt pour les questions musicales qu'il soulève.


        Les premières secondes du morceau montre d'abord l'évolution musicale que prend Emmure grâce à ces nouveaux membres. Le premier riff du morceau, très syncopé, est appréciable pour ne pas être un de ces breakdowns que nous sert le groupe habituellement. Ce genre de riff pourrait très bien se greffer à une composition typiquement djent et pour cause : les nouveaux membres que sont Josh Travis, Phil Lockett et Josh Miller ont tous les trois officié dans les groupes The Tony Danza Tapdance Extravanganza et Glass Cloud. Travis était d'ailleurs un membre-clé de ces groupes pour son sens de la composition très particulier qu'il applique également dans Emmure. S'il le fait de manière plus simple que les envolées expérimentales de Danza et Glass Cloud, il rehausse clairement la qualité musicale du groupe. Natural Born Killer n'est certainement pas exempt de breakdowns, mais ceux-ci sont beaucoup mieux placés et font l'objet de traitements originaux, comme le léger décalage mélodique entre guitare et basse par certains moments. Soit dit en passant, le morceau bénéficie d'une production de Drew Fulk extrêmement percutante et certainement plus incisive que le reste des albums d'Emmure. Frankie Palmeri, quant à lui, a également montré un certain effort en termes de composition quant à ses parties vocales. Si l'ensemble a l'air assez classique, on sent qu'il a l'air beaucoup plus maîtrisé et aussi plus innovant. C'est ce que l'on peut voir notamment à travers le jeu entre les différentes nuances dans son chant hurlé ainsi que la brève section rappée du morceau bien mieux placée que la plupart des tentatives de Palmeri dans les autres morceaux d'Emmure.
         Cependant, l'effort du vocaliste est quelque peu en demi-teinte lorsqu'on observe les paroles d'un premier abord, qui donnent le ton de l'expérience musicale du morceau. Celles-ci sont en effet assez simplistes et, selon les dires de Palmeri, reflètent un pan de la personnalité peu recommandable de l'homme : des "tendances sadiques" et sa volonté de "voir la souffrance chez les autres". Palmeri emploie des formules a priori peu inspirées pour rendre cette impression, que ce soit le thème de la revanche, l'image du "diable en [lui]" ou celle où il imagine mettre la personne à laquelle il s'adresse "dans la même tombe que [ses] amis". Évidemment, il suffit de prendre un peu de recul sur ses paroles pour vite se rendre compte qu'elles relèvent d'une forme de fantasme. Palmeri dit lui même que ce qui est exprimé dans ce morceau n'est pas "au coeur de ce qu'[il est]" et que le discours du morceau est quelque part celui d'un personnage. D'ailleurs, les plus cinéphiles auront bien entendu relevé que le titre est une référence au film homonyme d'Oliver Stone. A présent, il serait intéressant de prendre davantage de recul sur l'expérience musicale que nous donne Natural Born Killer pour voir que ce morceau n'est pas tellement mauvais pour ce qu'il est puisqu'il est clairement incisif et viscéral. Il s'agit typiquement du genre de morceau que l'on pourrait assimiler à un défouloir et son caractère fictionnel peut contribuer à laisser son ressenti négatif s'exprimer dans ce cadre fictif que ce soit pour l'interprète ou pour l'auditeur. Son côté presque simpliste fait ainsi appel aux tendances les plus primitives de l'être humain pour les évacuer par la musique.

        Que les choses soient claires, je n'adhère pas à la personnalité assez détestable de Frankie Palmeri. Mais force est de constater que le renouvellement des membres d'Emmure a été musicalement bénéfique pour le groupe. Certains extraits promotionnels de Look at Yourself, comme Flag of the Beast ou Ice Man Confessions, laissent cependant encore à désirer. En revanche, Natural Born Killer reste un morceau que l'on peut apprécier à sa juste valeur à condition de prendre suffisamment de recul pour en saisir toutes les subtilités qui en font justement un morceau appréciable. On peut alors espérer qu'Emmure continuera à suivre cette voie et verra sa qualité musicale s'améliorer.