mercredi 14 novembre 2018

Chronique : "Sempiternal" de Bring Me the Horizon

Vous l'avez compris : il est de bon ton de traiter de groupes controversés sur Wormcore. Les anglais de Bring Me the Horizon ne font clairement pas exception : ayant démarré comme un groupe de deathcore décent sans être exceptionnel avec leur premier album Count Your Blessings, ils se sont progressivement tourné vers le terrain d'un metalcore de plus en plus recherché, presque expérimental. Ce n'est même pas seulement la musique du groupe qui a évolué, mais également son image. En début de carrière, Bring Me the Horizon était en quelque sorte vu comme un groupe "de sales gosses pour des sales gosses". Mais leur maturité s'est progressivement construite dès le deuxième album jusqu'à atteindre son paroxysme avec Sempiternal, publié en 2013. Très loin du deathcore de leurs débuts, cet opus est un subtil mélange d'une certaine brutalité conservée par le combo avec des sonorités beaucoup plus mélodiques et aériennes. Il se dégage alors de l'album une certaine sensibilité et un intimisme qui en font de lui une œuvre digne d'intérêt.


        Au fil des albums, Bring Me the Horizon s'est octroyé la spécialité de mêler des influences extrêmement variées, souvent très loin du metal. Cela est extrêmement manifeste dans Sempiternal puisque les morceaux montrent des dynamiques et des humeurs très diverses. Si on voulait cependant dégager une tendance générale de l'album, c'est celle d'un metalcore atmosphérique et aérien, parfois même épique ou apocalyptique (Empire (Let Them Sing), And The Snakes Start to Sing, Crooked Young). Les riffs de guitares saturées fonctionnent davantage comme des couches sonores et mélodiques que viennent supporter la section rythmique par des motifs modérés ou lents. Certaines lignes sont cependant plus syncopées et calibrées pour conserver Bring Me the Horizon dans les rangs du metalcore (l'intro de Shadow Moses, les ponts de Sleepwalking). L'un des architectes de la facette atmosphérique de Sempiternal est le claviériste et nouveau membre Jordan Fish qui apporte entre autres quelques mélodies à la Linkin Park (Can You Feel My Heart, Sleepwalking), des boîtes à rythmes sur les pauses plus calmes et planantes (Go To Hell for Heaven's Sake, Crooked Young, Hospital for Souls) et surtout la direction des chœurs et des cordes que l'on entend sur bon nombre de morceaux, Shadow Moses en tête avec ses gang vocals dans les refrains. Les morceaux les plus brutaux de l'album que sont The House of Wolves, Empire et Antivist font la part belle aux influences punk hardcore et nu metal du groupe avec leur tempos accrus et leur chant hurlé rageur. Une chose remarquable est la capacité du groupe à ne pas systématiquement se reposer sur des structures évidentes de couplets et de refrains : la majorité des morceaux de Sempiternal sont construits de manière fine et ne répétant pas bêtement les mêmes riffs et les mêmes motifs.
        On peut aussi difficilement parler de Bring Me the Horizon sans parler d'Oliver Sykes, le leader du groupe qui porte peu ou prou l'état d'esprit avec lequel il faut aborder leur musique. C'est notamment lui qui écrit le squelette des morceaux ainsi que leurs paroles. On peut déjà toucher un mot de ses lignes de chant assez diverses, puisqu'il alterne le chant hurlé et le chant clair, parfois dans un même souffle (The House of Wolves, Empire, Go To Hell for Heaven's Sake, Crooked Young). Il faut savoir que c'est la première fois que Sykes abandonne les growls et autres voix perçantes typés deathcore et qu'il s'essaie à des lignes mélodiques. Son chant hurlé en lui-même dégage également quelque chose d'aussi violent et viscéral que vulnérable et sensible. Pour saisir davantage la démarche de l'album, on doit pouvoir conjuguer ce chant avec les thèmes abordés, souvent très personnels et exposant des grandes vulnérabilités proches de la dépression (Can You Feel My Heart, Sleepwalking, Seen It All Before). Certains morceaux montrent également une voix beaucoup plus incisive : Antivist est une bombe hardcore visant les personnes tenant un discours contreproductif dans une situation problématique ; le diptyque The House of Wolves/Empire (Let Them Sing) ainsi que Crooked Young sont très critiques envers la religion. Le lexique de cette dernière est même utilisée de manière détournée dans Go To Hell for Heaven's Sake. Quelques temps après la sortie de l'album, Sykes a révélé sa lutte contre l'addiction à la kétamine au cours d'une remise de prix, ce qui a très certainement influencé l'écriture de l'album. Toujours est-il que l'ensemble dénote une exposition brute et humaine d'émotions fortes, l'album devenant alors très cathartique. Certains diront que le style est quelque peu niais, mais on peut difficilement reprocher un manque d'authenticité et de finesse sur cet album.

        Je dois avouer que Sempiternal est le seul album de Bring Me the Horizon que j'ai écouté en entier, faute d'intérêt pour le reste de leur discographie. Cela étant dit, il est toujours possible de dégager des tendances générales de la musique d'un groupe en écoutant les quelques morceaux qui promeuvent ses albums. En l'occurrence, la première écoute de Shadow Moses m'avait laissé une certaine surprise quant  à l'aura que dégageait la formation dans ce morceau. C'est ce qui m'avait poussé à écouter Sempiternal pour venir à la conclusion qu'il était très certainement l'album le plus abouti et le plus mature de Bring Me the Horizon, toujours avec une certaine distance quant au fait que je n'ai pas écouté leurs autres albums. Les extraits des albums suivants, That's the Spirit et amo ne m'ont cependant pas autant convaincu que Shadow Moses. Malgré cela, je respecte Bring Me the Horizon, garde en tête que le musicien devrait être le seul qui décide de la direction qu'il prend esthétiquement et doute même que leurs productions suivantes ne soient davantage des stratégies commerciales qu'une évolution logique de leur style.