mercredi 12 décembre 2018

Billet d'humeur : la folie

Vous l'avez compris, sur Wormcore, on aime les termes larges comme le monde. La folie ne fait clairement pas exception à la règle. Maladie mentale, état second momentané, esthétique musicale particulière : la folie peut être un terme un peu fourre-tout. Puisque nous ne faisons pas une dissertation de philosophie, autant profiter de cette polysémie pour en tirer des morceaux qui s'en rapportent. La musique et surtout le metal ne peuvent clairement pas passer à côté de ce thème, autant pour faire comprendre ce que représente cet état que pour s'en inspirer esthétiquement. Comme d'habitude, nous nous intéresserons à trois groupes qui prennent le thème sous des angles différents.
        J'en avais déjà parlé dans une précédente chronique : Iowa de Slipknot, tiré de l'album du même nom, est un bon représentant d'une démence dérangée et dérangeante. Musicalement, tout est réuni pour susciter le malaise : les montées de parties sombres jusqu'à des explosions de fureur, les bruitages inquiétant ou encore le chant déséquilibré de Corey Taylor. Quant au propos du morceau, Taylor l'explique volontiers durant une séance de questions/réponses. Pour faire court, Iowa est écrit du point de vue d'une personne s'amusant avec des cadavres. Encore une fois, je vous laisse également le soin de découvrir par vous-mêmes comment s'est déroulé l'enregistrement de ce morceau. En tout cas, le résultat est probant.


        C'est également la deuxième fois que j'aborde le groupe Whitechapel, dont la réputation de pilier du deathcore et du death metal moderne n'est plus à prouver. Parmi les méfaits incontournables du groupe, I, Dementia, extrait de leur album éponyme, fait preuve d'une finesse assez remarquable malgré la brutalité apparente du morceau, à la dynamique plutôt lente et sombre. Fondamentalement, il s'agit d'un dialogue entre deux entités : un être qui fait face à la "démence" qui le ronge et le plonge dans une grande détresse. Cela est d'ailleurs très bien illustré dans la vidéo promotionnelle du morceau. Mais un détail saute à l'oreille : même si l'on sait que Phil Bozeman est capable de prouesses techniques, il ne se sert pas de sa voix pour différencier ces deux entités. Les seules modulations ou autres variations à son growl habituel qu'il apporte ne font que suivre la dynamique du morceau. J'ignore si cela est prémédité, mais force est de constater que cela donne un effet assez intéressant au morceau : malgré l'apparent dédoublement opéré par les paroles, on a l'impression que c'est une même voix qui supplie son bourreau de l'épargner, comme si ce bourreau était justement cette même voix. C'est d'ailleurs ce que suggèrent certaines lignes : I, Dementia montre à quel point l'être humain est capable de se torturer lui-même l'esprit et s'entraîner vers son auto-destruction.


        Quoi de mieux pour conclure qu'un groupe dont le nom signifie "cinglé" ? En tout cas, ce serait la traduction depuis le yiddish du mot Meshuggah, qui a donné son nom à un groupe suédois qu'on ne présente plus. Cependant, pour ceux qui ne les connaîtraient pas, la formation est connue pour son sens de l'expérimentation et de la déstructuration. Ils ont même influencé toute une scène qui remplit une bonne partie des pages de Wormcore : je parle bien entendu du djent. Rational Gaze de l'album Nothing est d'ailleurs l'un des titres les plus représentatifs du style de Meshuggah, avec ces guitares accordées presque comme des basses, ses rythmiques syncopées, mécaniques et saccadées ainsi que son solo improvisé et hypnotique. Mais le plus intéressant réside dans le paradoxe du morceau entre la folie et la raison. De la même manière que l'apparente déstructuration musicale relève d'une bonne finesse de composition, il est amusant de constater qu'une voix aussi dérangée que celle de Jens Kidman incite l'auditeur à avoir un "regard rationnel", un œil affiné qui permettrait de ne pas se laisser piéger par les apparences.


        Comme d'habitude, il y a beaucoup de manières de voir la folie dans le metal et la musique et cet article n'est qu'un échantillon de ce que l'on peut trouver dans la sphère du genre. Finalement, comme d'autres thèmes, cet article aura évidemment une suite.
        Merci à Duane G. pour l'inspiration de ce thème !

mercredi 14 novembre 2018

Chronique : "Sempiternal" de Bring Me the Horizon

Vous l'avez compris : il est de bon ton de traiter de groupes controversés sur Wormcore. Les anglais de Bring Me the Horizon ne font clairement pas exception : ayant démarré comme un groupe de deathcore décent sans être exceptionnel avec leur premier album Count Your Blessings, ils se sont progressivement tourné vers le terrain d'un metalcore de plus en plus recherché, presque expérimental. Ce n'est même pas seulement la musique du groupe qui a évolué, mais également son image. En début de carrière, Bring Me the Horizon était en quelque sorte vu comme un groupe "de sales gosses pour des sales gosses". Mais leur maturité s'est progressivement construite dès le deuxième album jusqu'à atteindre son paroxysme avec Sempiternal, publié en 2013. Très loin du deathcore de leurs débuts, cet opus est un subtil mélange d'une certaine brutalité conservée par le combo avec des sonorités beaucoup plus mélodiques et aériennes. Il se dégage alors de l'album une certaine sensibilité et un intimisme qui en font de lui une œuvre digne d'intérêt.


        Au fil des albums, Bring Me the Horizon s'est octroyé la spécialité de mêler des influences extrêmement variées, souvent très loin du metal. Cela est extrêmement manifeste dans Sempiternal puisque les morceaux montrent des dynamiques et des humeurs très diverses. Si on voulait cependant dégager une tendance générale de l'album, c'est celle d'un metalcore atmosphérique et aérien, parfois même épique ou apocalyptique (Empire (Let Them Sing), And The Snakes Start to Sing, Crooked Young). Les riffs de guitares saturées fonctionnent davantage comme des couches sonores et mélodiques que viennent supporter la section rythmique par des motifs modérés ou lents. Certaines lignes sont cependant plus syncopées et calibrées pour conserver Bring Me the Horizon dans les rangs du metalcore (l'intro de Shadow Moses, les ponts de Sleepwalking). L'un des architectes de la facette atmosphérique de Sempiternal est le claviériste et nouveau membre Jordan Fish qui apporte entre autres quelques mélodies à la Linkin Park (Can You Feel My Heart, Sleepwalking), des boîtes à rythmes sur les pauses plus calmes et planantes (Go To Hell for Heaven's Sake, Crooked Young, Hospital for Souls) et surtout la direction des chœurs et des cordes que l'on entend sur bon nombre de morceaux, Shadow Moses en tête avec ses gang vocals dans les refrains. Les morceaux les plus brutaux de l'album que sont The House of Wolves, Empire et Antivist font la part belle aux influences punk hardcore et nu metal du groupe avec leur tempos accrus et leur chant hurlé rageur. Une chose remarquable est la capacité du groupe à ne pas systématiquement se reposer sur des structures évidentes de couplets et de refrains : la majorité des morceaux de Sempiternal sont construits de manière fine et ne répétant pas bêtement les mêmes riffs et les mêmes motifs.
        On peut aussi difficilement parler de Bring Me the Horizon sans parler d'Oliver Sykes, le leader du groupe qui porte peu ou prou l'état d'esprit avec lequel il faut aborder leur musique. C'est notamment lui qui écrit le squelette des morceaux ainsi que leurs paroles. On peut déjà toucher un mot de ses lignes de chant assez diverses, puisqu'il alterne le chant hurlé et le chant clair, parfois dans un même souffle (The House of Wolves, Empire, Go To Hell for Heaven's Sake, Crooked Young). Il faut savoir que c'est la première fois que Sykes abandonne les growls et autres voix perçantes typés deathcore et qu'il s'essaie à des lignes mélodiques. Son chant hurlé en lui-même dégage également quelque chose d'aussi violent et viscéral que vulnérable et sensible. Pour saisir davantage la démarche de l'album, on doit pouvoir conjuguer ce chant avec les thèmes abordés, souvent très personnels et exposant des grandes vulnérabilités proches de la dépression (Can You Feel My Heart, Sleepwalking, Seen It All Before). Certains morceaux montrent également une voix beaucoup plus incisive : Antivist est une bombe hardcore visant les personnes tenant un discours contreproductif dans une situation problématique ; le diptyque The House of Wolves/Empire (Let Them Sing) ainsi que Crooked Young sont très critiques envers la religion. Le lexique de cette dernière est même utilisée de manière détournée dans Go To Hell for Heaven's Sake. Quelques temps après la sortie de l'album, Sykes a révélé sa lutte contre l'addiction à la kétamine au cours d'une remise de prix, ce qui a très certainement influencé l'écriture de l'album. Toujours est-il que l'ensemble dénote une exposition brute et humaine d'émotions fortes, l'album devenant alors très cathartique. Certains diront que le style est quelque peu niais, mais on peut difficilement reprocher un manque d'authenticité et de finesse sur cet album.

        Je dois avouer que Sempiternal est le seul album de Bring Me the Horizon que j'ai écouté en entier, faute d'intérêt pour le reste de leur discographie. Cela étant dit, il est toujours possible de dégager des tendances générales de la musique d'un groupe en écoutant les quelques morceaux qui promeuvent ses albums. En l'occurrence, la première écoute de Shadow Moses m'avait laissé une certaine surprise quant  à l'aura que dégageait la formation dans ce morceau. C'est ce qui m'avait poussé à écouter Sempiternal pour venir à la conclusion qu'il était très certainement l'album le plus abouti et le plus mature de Bring Me the Horizon, toujours avec une certaine distance quant au fait que je n'ai pas écouté leurs autres albums. Les extraits des albums suivants, That's the Spirit et amo ne m'ont cependant pas autant convaincu que Shadow Moses. Malgré cela, je respecte Bring Me the Horizon, garde en tête que le musicien devrait être le seul qui décide de la direction qu'il prend esthétiquement et doute même que leurs productions suivantes ne soient davantage des stratégies commerciales qu'une évolution logique de leur style.

mercredi 17 octobre 2018

Chronique : "Outside the Box" d'Hacktivist

Il suffit d'une simple idée a priori tordue pour qu'un groupe trouve l'étincelle qui le fera exploser. C'est peu ou prou ce qui a mené à la formation du groupe Hacktivist, qualifiée de "hasard extraordinaire" par le guitariste, producteur et membre fondateur Timfy James. Alors qu'il venait tout juste de quitter Heart of a Coward et qu'il travaillait sur de nouvelles productions, celles-ci ont attisé la curiosité du rappeur Jermaine Hurley, issu plus précisément de la scène grime, qui proposa à James de poser quelques mesures sur l'instrumentale. S'en suit la réunion d'une formation complète, la sortie d'un EP et la chance d'écumer les tournées un peu partout en Europe ainsi qu'un passage par l'Australie. Ce n'était qu'une question de temps avant que n'arrive le premier album du combo, Outside the Box, sorti en 2016. En plus de s'imposer comme le premier groupe à mélanger les riffs syncopés et déstructurés du djent avec le grime, les Anglais proposent une musique servant un propos plutôt pugnace.


        Au premier abord, ce qui frappe dans cet album est son hétérogénéité. Si le disque baigne dans son ensemble dans une atmosphère cohérente, il présente une certaine variété. Certes, la structure des morceaux repose généralement sur le schéma classique couplet/refrain. Mais la force de l'album est qu'il donne rarement l'impression d'écouter deux fois le même morceau en faisant varier les dynamiques et les tonalités. Cela s'explique également par la fusion de genres divers qu'exploite le groupe. Du djent et du metalcore, on retrouve les riffs syncopés associés aux motifs rythmiques à tempo modéré, donnant parfois lieu à des breakdowns et des grooves taillés pour les concerts (Hate, Buszy). On trouve également quelques passages plus atmosphériques (Deceive and Defy, The Storm, Elevate), voire épiques (Outisde the Box qui comprend le seul solo de guitare de l'album, The Storm II). Les contributions vocales typées metalcore/djent sont également présentes. Si Ben Marvin est le hurleur attitré de la formation, on entend également la géniale apparition de Jamie Graham de Heart of a Coward sur Deceive and Defy. Le chant clair est quant à lui assuré par Timfy James, livrant parfois de jolies surprises (No Way Back, The Storm II). Sur Taken, c'est Rou Reynolds d'Enter Shikari qui s'en charge. Le côté rap et grime, quant à lui, se manifeste dans les  lignes vocales de Jermaine Hurley et Ben Marvin qui proposent des textes techniques sans être trop démonstratifs et qui livrent une performance parfois vraiment agressive (No Way Back, False Idols, Elevate). Les tempos choisis ainsi que l'emploi occasionnelle et bien sentie d'une instrumentation électronique (l'intro de Hate, The Storm) sont aussi des traits qui renvoient aux influences grime d'Hacktivist. On notera au passage un morceau qui se démarque parfaitement du reste : Rotten, en collaboration avec Jot Maxi et les Astroid Boys, seul titre hip-hop de tout l'album. Le reste de l'album se présente comme du rap/djent produit de manière propre, claire et carrée.
        On aurait presque tendance à dire qu'Hacktivist est un dérivé moderne du nu metal à la Korn, Limp Bizkit ou Linkin Park. Bien que ce genre d'influence doit être présente, on devrait surtout penser à un groupe comme Rage Against the Machine, prêt à en découdre avec les maux de la société. Le titre Outside the Box, littéralement "hors de la boîte" ou plutôt "hors du cadre", est à voir sous plusieurs angles et correspond tout à fait à l'état d'esprit de l'album. Influence hip-hop oblige, l'album n'est pas exempt d'ego-trips, mais ceux-ci ont généralement trait à l'initiative du groupe de fusionner divers genres musicaux (Hate, Deceive and Defy, Outside the Box, Buszy) ainsi qu'à leur capacité à être eux-mêmes des sortes de lanceurs d'alerte, un thème qui traverse peu ou prou l'ensemble de l'album. Ainsi, No Way Back montre entre autres les inégalités et les divisions qui se creusent à l'échelle du globe, False Idols et Elevate ironisent momentanément sur la vente d'armes à feu ou Rotten décrit une société dystopique telle qu'on la conçoit dans les romans de science-fiction mais qui devient réelle. Outside the Box voit alors deux interprétations importantes : Hacktivist pensent hors du cadre à la fois en mélangeant des traits musicaux de manière originale ainsi qu'en se plaçant hors du cadre de la société. La seule exception majeure de l'album est le morceau Taken, aux accents plus personnels et poignants, qui traite de la perte de proches, mais toujours sous le même esprit combatif qui règne dans l'album.

        La force de ce premier album d'Hacktivist est finalement de présenter une musique bien composée, rassemblant très bien les différentes influences du groupe et sonnant aussi bien comme leurs homologues de Periphery ou Tesseract que les grands noms du grime et du hip-hop. On ajoutera évidemment à cela l'état d'esprit provocateur et combatif du groupe, toujours prêt à changer les choses de manière positif. A l'heure où j'écris cet article, cependant, on peut se demander ce qu'il en sera de l'avenir musical du groupe étant donné que Ben Marvin et même Timfy James ont tous les deux quitté le groupe il y a peu. Bien que l'un d'entre eux ait été remplacé et que la nouvelle formation soit actuellement en studio, on peut se demander ce que vaudra cette nouvelle mouture du combo. A suivre...

mercredi 12 septembre 2018

Billet d'humeur : le suicide

Le suicide est un thème particulièrement sensible, surtout quand on sait que la santé mentale est un enjeu préoccupant dans une société qui a tendance à ne pas épargner les plus fragiles. En tant qu'auditeur, je vois personnellement la musique et l'art en général comme des moyens de connaissance en plus d'être des moyens de divertissement. Une œuvre peut en effet apporter un certain savoir sur un objet en particulier. La différence avec la science est que l'art n'exprime pas ce savoir rationnellement mais intuitivement et émotionnellement. Le metal étant friand des thèmes les plus extrêmes et dérangeants, le suicide ne fait pas exception à la règle. Pour certains, il peut même s'agir d'une sorte d'aide ou de refuge : faire l'expérience d'une œuvre qui traite de son mal-être peut permettre de reconnaître, voire de mettre des mots sur ce problème, ce qui est un premier pas vers sa résolution. Ainsi, nous verrons ce que le metal et la musique ont à dire du suicide.
         Encore une fois, le metal aime ne pas faire dans la dentelle quand il s'agit de traiter les thèmes les plus difficiles. Le black metal est un bon représentant de ce genre de traitement. En l'occurrence, pour le thème du suicide, on lui a carrément dédié un sous-genre qu'est le DSBM pour Depressive and Suicidal Black Metal ("black metal dépressif et suicidaire"). Un des groupes phares de cette tendance est Silencer, un duo qui montre le thème qui nous intéresse sous un aspect morbide et extrême. Je vous épargnerai bien des détails sur la manière dont l'album Death - Pierce Me, dont est issu le morceau Sterile Nails and Thunderbowels, a été enregistré, ainsi que sur les frasques psychiatriques du chanteur Nattramn. Sachez cependant qu'il est marqué par une atmosphère pesante et dérangeante créée par les riffs mélancoliques et la dynamique souvent très lente du morceau, jusqu'à l'explosion de folie finale. Mais ce qui marque, c'est surtout le chant de Nattramn, entre le grognement typique du black metal qui fait ressentir un dérangement mental et les cris aigus et perçants qui expriment une souffrance extrême. Silencer a ainsi choisi la voie de la folie doublée d'un certain désespoir pour représenter le thème du suicide.


        Beaucoup moins morbide, mais tout aussi percutant, Chimaira aborde le suicide par ce qui semble être un cri d'alarme dans Nothing Remains, extrait de leur album éponyme qui aura bientôt sa chronique dans Wormcore. Les paroles de ce morceau sont écrit du point de vue d'un homme sur le point de se donner la mort et s'adressant à ses proches, leur montrant qu'il a toujours caché ses envies suicidaires et qu'il n'a désormais plus rien à perdre. Ces lignes sont portées par une instrumentation à la dynamique globalement soutenue, surtout par les motifs typiques du death et du thrash metal, qui représente bien l'urgence de la situation et l'imminence du passage à l'acte. La dégradation de l'état du personnage est enfin bien représentée par la voix de Mark Hunter qui devient de plus en plus folle dans les dernières lignes de chant. En somme, Nothing Remains livre la vision d'un passage à l'acte violent, urgent et désespéré.


        Dans la lignée des morceaux-coups de poing sur ce même thème, J'appuie sur la gâchette fait partie de ces morceaux au ton grave de Suprême NTM qui troquent l'intensité de leur musique pour la lourdeur du thème traité. Ainsi, l'instrumentale du morceau est très tranquille, à l'atmosphère sérieuse et mélancolique, et aux influences reggae. Le morceau alterne entre les lignes parlées de Joeystarr et celles rappées par Kool Shen, et l'ensemble du texte très introspectif est celui d'un homme faisant le bilan de sa vie toujours marquée par la dépression, les problèmes personnels et la pression de la société. On remarquera à la fin du morceau la brève accélération du débit de Kool Shen, rappelant certainement le trop-plein de pensées qui passe par la tête d'une personne aux envies suicidaires. J'appuie sur la gâchette montre le suicide dans ce qu'il a de plus concret et déroule certaines causes qui pousseraient au passage à l'acte. Son aspect a priori dépouillé par rapport à ce que peut faire habituellement Suprême NTM laisse en fait place à une certaine lourdeur.


        Au bout du compte, ces trois morceaux montrent que le thème du suicide peut être traité de manière directe et franche afin de bien saisir ses enjeux. On pourrait remettre en question le bien-fondé de cette manière de faire, notamment quand on voit que Silencer aborde le thème de façon morbide, comme si le suicide pouvait devenir une sorte de fascination. Il faudrait cependant prendre un peu de recul sur la chose pour se rendre compte de ce à quoi fait appel des pensées suicidaires, car on peut très bien imaginer qu'une personne suicidaire éprouve une fascination morbide pour un tel passage à l'acte. La manière dont Silencer traite le thème est une sorte de provocation au même titre que ce que font Chimaira et Suprême NTM : il s'agit de montrer la situation de manière directe pour éveiller les consciences. Il y a certainement d'autres façons de faire et je les évoquerai certainement dans un prochain article sur le thème. N'oubliez pas de vous-mêmes chercher de l'aide si des pensées suicidaires vous traversent l'esprit.

        Merci à Joanna J. pour la suggestion de ce thème !

mercredi 15 août 2018

Chronique : "Juggernaut" de Periphery

Un album-concept est presque un passage obligé pour tout bon groupe de metal progressif qui se respecte. Periphery l'a bien compris en sortant Juggernaut, un album-concept en deux parties sous-titrées respectivement Alpha et Omega. Le projet aura mis un certain à prendre forme puisque les premières idées émergent dans la tête du maître à penser et guitariste Misha Mansoor avant même que Periphery ne sorte sont premier album. Après des remaniements d'idées et la parenthèse Clear, qui aura certainement sa chronique dans Wormcore, Juggernaut finit par sortir en 2015 et constitue un album à la fois cohérent et très agréable à écouter, surtout une fois qu'on en a saisi les subtilités. Il nous plonge dans une histoire dérangeante que la musique du groupe illustre particulièrement bien.


        Si l'on se contente d'écouter Juggernaut seulement pour la musique, on voit au premier abord que Periphery conserve son style tout en l'étendant vers quelques nouvelles idées. Misha Mansoor et Adam "Nolly" Getgood sont à nouveau aux commandes de la production de Juggernaut après l'avoir été pour Periphery II et celle-ci reste toujours aussi précise, voire un peu plus que sur l'album précédent. Les guitares, par exemple, sont moins massives que dans Periphery II et laisse la production respirer davantage. En ce qui concerne la musique en elle-même, Periphery est toujours ce groupe aux morceaux techniques et remplis de déstructurations. On retrouve ainsi quelques gimmicks du combo tels que les riffs déstructurés à la Meshuggah (MK Ultra, Rainbow Gravity, Four Lights, The Bad Thing), les progressions d'accords bien propres (Heavy Heart, Psychosphere) ou les démonstrations techniques (le riff d'intro d'Omega). Album-concept oblige, le groupe joue dans une variété de dynamiques et d'humeur, qu'elles soient énergiques (Alpha, 22 Faces), mélancoliques (Heavy Heart, Priestess) ou carrément agressives (MK Ultra, The Bad Thing, Hell Below). Cela tient également à l'implication accrue de l'ensemble de membres de la formation alors que, pour rappel, l'essentiel de leur premier album a été composé par Misha Mansoor. C'est notamment le guitariste Mark Holcomb qui a l'idée d'intégrer des guitares acoustiques aux morceaux Heavy Heart et Priestess. Cependant, les amateurs de la première heure sauront que MK Ultra est une version remaniée de la démo Mr. Person qu'avait composé Misha Mansoor lorsque Periphery n'était pas encore un groupe. S'il y a également une évolution à noter, c'est celle du chant, puisque Spencer Sotelo étend largement sa palette vocale, même par rapport à l'album précédent qui montrait des progrès considérables de sa part. Le chant clair pourra toujours en rebuter certains, notamment pour son timbre haut perché et ses lignes mélodiques presque pop (Heavy Heart, Rainbow Gravity, Stranger Things). Cependant, on ne peut pas nier que la performance est techniquement impeccable et montre parfois quelques prouesses, comme le montrent les dernières lignes de chant à la Devin Townsend dans The Scourge. Les progrès se trouvent également dans le chant hurlé qui gagne en variété entre les cris déments, les growls bien placés (MK Ultra, les growls en fond dans The Bad Thing) ou les hurlements chantés (Heavy Heart, Omega). Idée bienvenue : l'intervention de chœurs sur certains titres, qui donnent un côté parfois inquiétant aux morceaux, notamment dans A Black Minute ou Psychosphere. On notera enfin que certaines lignes de chant reviennent dans plusieurs morceaux, que les paroles ou les mélodies soient légèrement altérées ou non, qui montrent que l'album tient dans un fil conducteur.
        La force de cet album réside en effet dans sa capacité à créer une atmosphère en lien avec l'histoire qu'il raconte. A la sortie de l'album, les membres du groupe s'étaient refusés d'en révéler l'intrigue, jusqu'à ce que Spencer Sotelo le fasse au cours d'une interview quelques temps après. Dans le cas présent, je me propose de donner simplement le cadre de l'album : inspiré notamment par Rosemary's Baby et la première saison de True Detective, Juggernaut raconte comment un jeune homme né au sein d'un culte satanique se trouve tiraillé entre les manipulations mentales dont il a été victime et sa bonne conscience qui le dégoute de ce qu'il doit accomplir pour le culte. L'ensemble forme une progression dans laquelle la partie Alpha présente en grande partie le cadre de l'histoire tandis que la partie Omega créé un pivot qui accélère l'intrigue vers sa conclusion. S'il semble y avoir quelques bizarreries entre ce que dit Sotelo et ce qui se trouve dans l'album, force est de constater que l'ensemble fonctionne plutôt bien et chaque morceau parvient à insuffler la bonne atmosphère selon ce qu'ils évoquent. Sans gâcher l'intrigue, quelques exemples s'imposent. Les morceaux d'ouverture A Black Minute et MK Ultra nous plongent au cœur du culte, le premier évoquant le rituel troublant qui donne naissance au personnage principal, le second exprimant la brutalité de la manipulation psychologique qu'il subit. 22 Faces sera d'ailleurs propice à montrer les séquelles d'un telle manipulation et la détresse qu'exprime alors le personnage central. Heavy Heart et Priestess montrent encore une fois la mélancolie qui passe par l'esprit du jeune homme à deux instants de l'histoire. The Scourge et Psychosphere constituent des moments d'introspection. Dans le premier, la structure du morceau rend compte de l'évolution de l'état d'esprit du personnage passant par la mélancolie, puis la colère, jusqu'à l'espoir. Psychosphere, quant à lui, marqué par des rythmiques lentes, lourdes et déstructurée, présente le personnage central prêt à passer à des actes extrêmes contre le culte. Enfin, The Bad Thing et Graveless évoquent clairement des instants de folie colérique, que ce soit par les rythmiques puissantes du premier ou par les motifs rapides de batterie dans le second. Tout cela s'applique aux instruments, mais également aux paroles qui, pour peu qu'on saisisse les tournures habiles de Sotelo, sont très évocatrices. Petite précision supplémentaire : le travail graphique réalisé par Justin Randall dans le livret est également très réussi et illustre parfaitement l'histoire de Juggernaut.

        Juggernautest clairement un album conçu pour une expérience de longue haleine. On peut éventuellement lui adresser quelques reproches comme la cohérence légèrement douteuse si on se réfère au propos de Spencer Sotelo et les quelques clichés inhérents à l'album-concept. Mais au-delà de ces détails, l'album est un bloc solide livrant une gamme d'émotions variées de la folie à la détresse en passant par la mélancolie dans un cadre particulièrement inquiétant et angoissant. Reste à voir si Periphery compte renouveler l'expérience dans les années à venir.

mercredi 11 juillet 2018

Chronique : "Natural Born Killer" d'Emmure

Emmure est un groupe de metalcore qui ne laisse clairement pas indifférent. Autant adulée que conspuée, la formation est souvent au centre des discussions concernant la qualité de sa musique et les frasques de son meneur Frankie Palmeri. D'un côté, on remarque le côté simple, voire simpliste, de leur musique : un amalgame de metalcore, de deathcore et de nu metal faisant notamment la part belle aux breakdowns. Le fait est qu'Emmure a justement tendance à abuser de ce genre de section musicale. De l'autre, Palmeri est réputé pour faire partie de ces "têtes à claques" du metal moderne. Ses performances vocales sont relativement correctes, mais il s'agit surtout d'un certain narcissisme de sa part qui a eu tendance à ternir sa réputation. On peut ajouter à cela une part de mauvais goût : en 2014, l'album Eternal Enemies présente le titre Bring a Gun to School ("Amène un flingue à l'école") qui sera par la suite référé sans titre. Cette mauvaise réputation de Palmeri a sans doute contribué à un phénomène soudain qu'a été le départ de tous les autres membres du groupe en décembre 2015. Le vocaliste ne se laisse cependant pas démonter et recrute un line-up d'abord tenu secret puis révélé en 2016 avec lequel il sort l'album Look at Yourself l'année suivante. Le titre Natural Born Killer, qui a bénéficié d'un clip pour la promotion de l'album, présente alors un intérêt pour les questions musicales qu'il soulève.


        Les premières secondes du morceau montre d'abord l'évolution musicale que prend Emmure grâce à ces nouveaux membres. Le premier riff du morceau, très syncopé, est appréciable pour ne pas être un de ces breakdowns que nous sert le groupe habituellement. Ce genre de riff pourrait très bien se greffer à une composition typiquement djent et pour cause : les nouveaux membres que sont Josh Travis, Phil Lockett et Josh Miller ont tous les trois officié dans les groupes The Tony Danza Tapdance Extravanganza et Glass Cloud. Travis était d'ailleurs un membre-clé de ces groupes pour son sens de la composition très particulier qu'il applique également dans Emmure. S'il le fait de manière plus simple que les envolées expérimentales de Danza et Glass Cloud, il rehausse clairement la qualité musicale du groupe. Natural Born Killer n'est certainement pas exempt de breakdowns, mais ceux-ci sont beaucoup mieux placés et font l'objet de traitements originaux, comme le léger décalage mélodique entre guitare et basse par certains moments. Soit dit en passant, le morceau bénéficie d'une production de Drew Fulk extrêmement percutante et certainement plus incisive que le reste des albums d'Emmure. Frankie Palmeri, quant à lui, a également montré un certain effort en termes de composition quant à ses parties vocales. Si l'ensemble a l'air assez classique, on sent qu'il a l'air beaucoup plus maîtrisé et aussi plus innovant. C'est ce que l'on peut voir notamment à travers le jeu entre les différentes nuances dans son chant hurlé ainsi que la brève section rappée du morceau bien mieux placée que la plupart des tentatives de Palmeri dans les autres morceaux d'Emmure.
         Cependant, l'effort du vocaliste est quelque peu en demi-teinte lorsqu'on observe les paroles d'un premier abord, qui donnent le ton de l'expérience musicale du morceau. Celles-ci sont en effet assez simplistes et, selon les dires de Palmeri, reflètent un pan de la personnalité peu recommandable de l'homme : des "tendances sadiques" et sa volonté de "voir la souffrance chez les autres". Palmeri emploie des formules a priori peu inspirées pour rendre cette impression, que ce soit le thème de la revanche, l'image du "diable en [lui]" ou celle où il imagine mettre la personne à laquelle il s'adresse "dans la même tombe que [ses] amis". Évidemment, il suffit de prendre un peu de recul sur ses paroles pour vite se rendre compte qu'elles relèvent d'une forme de fantasme. Palmeri dit lui même que ce qui est exprimé dans ce morceau n'est pas "au coeur de ce qu'[il est]" et que le discours du morceau est quelque part celui d'un personnage. D'ailleurs, les plus cinéphiles auront bien entendu relevé que le titre est une référence au film homonyme d'Oliver Stone. A présent, il serait intéressant de prendre davantage de recul sur l'expérience musicale que nous donne Natural Born Killer pour voir que ce morceau n'est pas tellement mauvais pour ce qu'il est puisqu'il est clairement incisif et viscéral. Il s'agit typiquement du genre de morceau que l'on pourrait assimiler à un défouloir et son caractère fictionnel peut contribuer à laisser son ressenti négatif s'exprimer dans ce cadre fictif que ce soit pour l'interprète ou pour l'auditeur. Son côté presque simpliste fait ainsi appel aux tendances les plus primitives de l'être humain pour les évacuer par la musique.

        Que les choses soient claires, je n'adhère pas à la personnalité assez détestable de Frankie Palmeri. Mais force est de constater que le renouvellement des membres d'Emmure a été musicalement bénéfique pour le groupe. Certains extraits promotionnels de Look at Yourself, comme Flag of the Beast ou Ice Man Confessions, laissent cependant encore à désirer. En revanche, Natural Born Killer reste un morceau que l'on peut apprécier à sa juste valeur à condition de prendre suffisamment de recul pour en saisir toutes les subtilités qui en font justement un morceau appréciable. On peut alors espérer qu'Emmure continuera à suivre cette voie et verra sa qualité musicale s'améliorer.

lundi 28 mai 2018

Chronique : "Stone Sour" de Stone Sour

Avec à peine deux albums à leur actif, Slipknot jouissent en 2002 d'un succès monumental qui les pousse à tourner sans relâche. Entretemps le chanteur Corey Taylor alors en pleine promotion pour Iowa est contacté par le guitariste Josh Rand pour remettre en marche Stone Sour, le groupe avec lequel les deux hommes ont fait leurs armes dans les années 1990 en Iowa, avant que Corey Taylor ne rejoigne Slipknot en 1997. Le groupe se reforme dans une formation incluant au passage le guitariste James Root, officiant également dans Slipknot, et sort son premier album en 2002. La tentation de comparer Stone Sour à Slipknot est très forte mais, même si certaines similitudes sont perceptibles, la nouvelle formation se distingue clairement du gang masqué comme des groupes de nu metal de l'époque, dans un temps où le genre est justement en plein déclin.


    Ce premier album est la seule production du groupe conçue dans leur état natal de l'Iowa, sous la houlette de Tom Tatman qui, à la première écoute, livre un son brut, gras et assez classique pour des compositions à priori dans la moyenne de leur temps. Mais si on creuse un peu, on s'aperçoit que Stone Sour est plus qu'un groupe de nu metal supplémentaire. Il est clair qu'il se distingue de Slipknot par une sorte d'assagissement musical : là où le groupe masqué livre un metal vraiment extrême, ce dont on se rend bien compte à l'écoute d'Iowa, Stone Sour joue dans des dynamiques un peu plus modérées, moins techniques et dans un esprit finalement plus rock. Le seul titre qui mériterait la comparaison avec Slipknot est la piste d'ouverture, Get Inside, pour son instrumentation à effet rouleau-compresseur et l'alternance des chants rappé, hurlé et chanté de Corey Taylor. La majorité de l'album repose quant à elle sur un nu metal aux influences grunge et aux dynamiques variées, généralement entre les couplets calmes (Orchids, Blue Study, Take a Number) et les refrains agressifs (Get Inside, Cold Reader) ou tout du moins plus appuyés (Inhale, Idle Hands). Les riffs et les structures sont relativement simples mais suffisamment bien construits pour accrocher à l'écoute. On notera la présence de quelques soli assurés en alternance par Rand et Root (Get Inside, Monolith, Blue Study, Take a Number). Un aspect remarquable reste aussi la voix de Corey Taylor car, à l'époque où sort l'album, on le connaît surtout pour le chant hurlé et dérangé dont il se sert dans Slipknot. Si ses hurlements gutturaux similaires à ceux d'Iowa sont bien présents, c'est clairement son chant mélodique qui fait mouche, montrant qu'il n'est pas qu'un simple hurleur. Ce qui fait d'ailleurs une des qualités de l'album est l'équilibre dans la présence des ces deux types de chant, en lien avec l'alternance des dynamiques évoquée précédemment. Ces différences de dynamiques sont d'ailleurs tellement étendues qu'elles donnent lieu à Bother, autre exception de l'album, une ballade qui, certes, tranche avec le reste de l'album mais qui ne tombe ni dans la facilité ni dans la niaiserie.
    Bien au contraire, son caractère sombre et mélancolique marque assez bien l'expérience musicale qu'on peut tirer de l'écoute de l'album. Les morceaux traitent de thèmes personnels et relationnels, assez typiques du grunge. Cependant, si ce rapprochement est convaincant, c'est également à nouveau à Slipknot que l'on peut se permettre de comparer Stone Sour. Comme chez le groupe masqué, les thèmes de l'adversité et de la dépression sont aussi présents ici mais pas traités de la même manière. Slipknot voit ces idées sous un aspect monstrueux ; Stone Sour les voit sous un aspect plus humain : la haine et la colère laisse davantage place à l'amertume et à la mélancolie. On oublie également les thèmes horrifiques et fantasmés des morceaux comme Purity ou Iowa pour rentrer dans du concret : Inhale relate notamment l'expérience de Corey Taylor comme sans-abri. Pour l'aspect visuel, il faut également noter que Corey Taylor et James Root apparaissent évidement démasqués. Mais Stone Sour parvient à conserver de Slipknot une forme de spontanéité et d'authenticité sans pour autant jouer dans la facilité. De même, cette trace que Stone Sour garde de Slipknot aide à la distinction du groupe par rapport aux autres formations de l'époque.
    Comme cela se présente souvent avec les premiers albums, ce disque éponyme est clairement le plus brut et le plus spontané de Stone Sour, contrairement aux opus suivants qui seront plus produits. Cet aspect direct lui confère même une atmosphère assez sombre. Un problème qui s'est cependant posé postérieurement à la sortie de ce premier album est l'influence qu'a pu avoir Stone Sour sur les albums ultérieurs de Slipknot rendant la musique de ces derniers quelque peu affadie par rapport aux brûlots que sont les deux premiers albums. Toujours est-il qu'il a contribué à montrer une nouvelle facette de Corey Taylor et James Root et leur polyvalence en tant que musiciens.

mercredi 25 avril 2018

Chronique : "The Impossibility of Reason" de Chimaira

Chimaira ont toujours voulu prouver qu'ils étaient un fer de lance du metal moderne américain. C'était d'autant plus le cas après la sortie du premier album Pass Out of Existence, bien reçu mais trop souvent rangé dans le nu metal, un sous-genre généralement mal vu par la communauté metalleuse. En 2003, Chimaira compte bien rectifier le tir avec The Impossibility of Reason, un album plus direct et plus brutal, qui confirme la place de la formation comme un pionnier de la New Wave of American Heavy Metal. Cela étant dit, on trouvera quand même des bribes de l'identité musicale du groupe telle qu'elle s'est dessinée dans l'album précédent.


        Loin de la Californie et des studios de rêve, Chimaira a préféré enregistrer cet album dans leur état natal de l'Ohio, aux Spider Studios de Strongsville. La production est confiée à Ben Schigel, un musicien et producteur du coin que le groupe connaît bien puisque c'est Schigel qui a produit l'EP This Present Darkness sorti en 1999. La bête mythique se place ainsi dans un terrain connu pour enregistrer un album dont l'intensité musicale est clairement un cran au-dessus du précédent. The Impossibility of Reason est un album de groove/thrash metal efficace à côté duquel Pass Out of Existence fait assez pâle figure. On remarque déjà le rehaussage de l'accordage des guitares pour un son plus précis et plus percutant. Les riffs et dynamiques rythmiques sont également beaucoup plus variés : si Chimaira conservent les passages syncopés et les roulements de double pédale (The Impossibility of Reason, Pure Hatred, The Dehumanizing Process, Eyes of a Criminal), ils ajoutent à cela des accélérations bien senties (Power Trip, Stigmurder, Overlooked, le seul et unique passage en blast beats dans Cleansation). On notera également l'apparition majeure des soli, quasiment absents du premier album, sur des titres comme Cleansation, Power Trip ou la conclusion instrumentale Implements of Destruction. Une chose remarquable est cependant la discrétion des samples par rapport à l'album précédent dans lequel ils étaient presque omniprésent. Dans ce deuxième album, ils sont là davantage là pour enrober quelque peu les morceaux, notamment les plus atmosphériques comme Pictures In the Gold Room ou Crawl. Cependant, on trouvera quand même quelques éléments qui rapproche The Impossibility of Reason de son grand frère, le titre Down Again étant le plus évident pour discerner ces traces qui montrent que la politique commerciale de Roadrunner Records était passée par là.
         Malgré cela, l'expérience musicale de cet album est assez différente de Pass Out of Existence. Là où ce dernier laissait une impression de froideur, The Impossibility of Reason se montre une nouvelle fois beaucoup plus frontal et nerveux. Cela se ressent à travers les paroles dont le concept peut se résumer dans les mots "Rejet, revanche et répercussion" selon les dires du chanteur Mark Hunter, des mots que l'on entend également dans Pictures In the Gold Room. Les morceaux ont généralement trait à l'adversité, tournant parfois à la misanthropie (Pure Hatred, Cleansation, Power Trip, The Dehumanizing Process), loin des paroles dépressives du premier opus. Cela justifie les refrains simples et fédérateurs, et les riffs et breakdowns presque épiques, qui donnent un réel sentiment de puissance. Un autre trait intéressant et qui deviendra une marque de fabrique de Chimaira est l'inspiration cinématographique de certains morceaux : le morceau-titre tire son inspiration d'une réplique de Charlie Sheen dans Platoon ou les "tableaux dans la Gold Room" sont évidemment une référence au Shining de Stanley Kubrick. Touchons d'ailleurs un mot du chant de Mark Hunter, qui est toujours aussi dément, quoiqu'un peu plus technique. Entre ses hurlements caractéristiques, ses growls puisssants et bien placés (Cleansation, The Dehumaniizng Process, Power Trip, Overlooked) et son chant clair à mi-chemin entre Alice In Chains et Deftones (Pictures In the Gold Room, Down Again, Stigmurder) et qui s'accorde également quelques poussées (Crawl), Hunter sait imposer sa personnalité vocale tout en étant capable d'une certaine diversité, le tout étant propice à faire ressortir la haine et la colère viscérales qui se dégagent des morceaux.

        Chimaira ont globalement réussi à montrer qu'ils étaient une valeur sûre du metal moderne américain avec un son chaud, puissant et brutal. Le mélange des influences diverses est toujours là, mais n'est plus du même acabit : si Fear Factory est un nom que l'on peut toujours citer, ne serait-ce que pour le travail de batterie ou certains riffs, ce sont plutôt Slayer, Pantera ou Metallica qui viennent spontanément en tête. Pour l'anecdote, la volonté de Chimaira de changer d'optique musicale a été telle que certains membres du groupe se sont opposés contre la volonté de Roadrunner Records à la présence sur l'album du titre Stays the Same, aux sonorités très proches de l'étiquette nu metal qu'on leur attribuait auparavant, qui finira par sortir ultérieurement dans certaines éditions limitées. Au contraire, Chimaira privilégie un style sans concessions et qui deviendra même plus travaillé au fil des albums : la conclusion Implements of Destruction annonce quelque peu le tournant épique que va prendre l'identité musicale du groupe.

samedi 17 mars 2018

Billet d'humeur : l'amour

Quitte à évacuer les thèmes musicaux les plus clichés, nous pouvons clairement aborder à celui de l'amour. Contrairement à ce que l'on pourrait croire pour une musique aussi violente, le metal ne fait effectivement pas exception quand il s'agit de traiter ce thème. Au contraire, le genre fait même preuve d'une certaine variété des angles par lesquels il entre dans le sujet.
        Commençons avec My Curse des américains de Killswitch Engage, extrait de leur album As Daylight Dies, qui devrait avoir un jour ou l'autre sa chronique sur ce blog. Ce groupe de metalcore originaire du Massachusetts est notamment réputé pour la positivité qui se dégage de leurs paroles et la dimension fédératrice de leurs morceaux. Il semble normal de les voir aborder le thème de l'amour sous un angle conquérant et persévérant : My Curse représente bien la quête de l'être aimé et qui aime en retour. On voit l'idée supportée par la qualité de la composition, les riffs techniques et syncopés et la chant de Howard Jones qui fait notamment son petit effet sur le refrain grandiose et mélodique.


        A l'exact opposé, Converge montre une facette beaucoup plus torturée de la relation amoureuse avec Concubine et Fault and Fracture, tous deux extraits de l'album Jane Doe. Avec son hardcore chaotique porté par une instrumentation déstructurée, un son gras et un chant hurlé intense, le groupe fait ressentir toute la puissance presque destructrice de la passion amoureuse. Pour la petite anecdote, les lignes de paroles que l'on connaît du morceau ne sont pas toutes conformes à ce que l'on entend dans l'enregistrement. Je vous laisse interprète de cette apparente anomalie...


        Les canadiens de Strapping Young Lad, quant à eux, ont décidé d'approcher le thème d'une manière plutôt originale. Comme l'indique son titre, Love?, extrait de l'album Alien, questionne le sentiment et cherche peu ou prou à le définir. Se créé alors une sorte de recul avec le sujet, comme une sorte de doute poussé à l'extrême. Le tout est illustré par le son massif et épique du morceau toujours porté par la voix si singulière de Devin Townsend.


        Comme nous pouvons le voir, l'approche de l'amour dans le metal reste diverse et nous pouvons imaginer que nous n'avons pas encore balayé toutes les possibilités de traitement. Nous réserverons ceci pour un éventuel prochain article. Merci à Sarah N. pour la suggestion de ce thème !

dimanche 18 février 2018

Chronique : "L'Enfant Sauvage" de Gojira

La décennie 2010 est clairement celle de la consécration pour Gojira. Les landais ont progressivement émergé depuis leur sud-ouest natal vers les plus grosses scènes internationales, en enchaînant les tournées et les festivals en Europe, en Amérique du Nord ou d'autres continents. Leur album The Way of All Flesh, sorti en 2008, leur a notamment permis de mener leur première tournée nord-américaine en tant que tête d'affiche en 2009. Après une tentative d'EP de soutien à l'association Sea Shepherd avortée, Gojira reprend du service en studio pour sortir en 2012 L'Enfant Sauvage sous le gros label Roadrunner Records. A l'écoute de ce cinquième effort, on peut clairement sentir une évolution dans le son de Gojira, mais tout en restant dans une certaine progression logique par rapport à l'album précédent.


        Avec The Way of All Flesh, Gojira avait fait un pas vers les Etats-Unis en faisant produire les parties de batterie par Logan Mader aux studios Undercity Recordings à North Hollywood, ce dernier s'étant également chargé du mixage et du mastering de l'album. Le terrain de jeu de L'Enfant Sauvage se situe cette fois-ci aux Spin Studios de Long Island pour la totalité de l'enregistrement. La production, toujours aussi précise et impeccable, est d'ailleurs signée par Joe Duplantier, le chanteur-guitariste et Josh Wilbur. En revanche, comme sous-entendu précédemment, la musique a quelque peu évolué : là où The Way of All Flesh joue beaucoup sur la technicité et la précision des musiciens pour faire ressortir les rythmiques syncopées, les riffs de L'Enfant Sauvage reposent moins sur la syncope tout en gardant une grande précision de jeu. On trouve cependant quelques exceptions telles que les intros d'Explosia et Pain Is a Master. Mais si la musique de Gojira se trouve quelque peu simplifiée, on peut imputer cela à l'atmosphère épique qui traverse l'album (l'intro à double pédale de The Axe, le pont de Liquid Fire, le refrain de The Gift of Guilt). Si l'on trouve également quelques passages furieux (Explosia, les blasts de Planned Obsolescence et Pain Is A Master, les growls de The Fall), la composition se fait beaucoup plus propre et beaucoup plus mélodique. Joe Duplantier continue de mélanger le chant hurlé au chant clair, mais ce dernier est beaucoup plus présent qu'auparavant comme en témoigne le titre Born In Winter dans lequel le chanteur va au plus bas de sa tessiture. On remarque également l'emploi du vocoder qu'on connaissait déjà dans l'album précédent, en particulier ici sur le refrain de Liquid Fire. Chose originale : Joe Duplantier s'est permis d'utiliser le son cristallin et caractéristique d'une Fender Telecaster pour les quelques arpèges atmosphériques d'Explosia et Mouth Of Kala.
        A priori, une grande partie du propos de Gojira ne change pas énormément de ce que l'on connaît déjà : la spiritualité et la philosophie sont toujours très présentes dans les paroles du groupe (L'Enfant Sauvage, Liquid Fire, The Gift of Guilt), tout comme l'est l'idée d'une conception cyclique de l'univers (Pain Is A Master, The Fall). La tendance écologique à laquelle on a tendance à réduire le groupe est assez peu présente pour privilégier une approche un peu plus sociale (Explosia, L'Enfant Sauvage, Planned Obsolescence). En revanche, l'atmosphère épique de l'album ajoute une dimension intéressante au sens des morceaux, donnant clairement l'impression que la spiritualité est une sorte de quête. C'est ce que l'on ressent à travers des images fortes et grandioses, comme celle de la hache (The Axe) ou du périple vers la repentance (The Gift of Guilt).

        Malgré l'impression de voir un groupe dont la musique est de plus en plus accessible, Gojira signe avec L'Enfant Sauvage un album riche et épique. Au moment de la sortie de l'album, on savait déjà que la musique de Gojira s'éloignait peu à peu de ses racines death metal pour forger son propre son sans pour autant renier cet héritage. Au moment de l'écriture de cet article, L'Enfant Sauvage est le dernier album du groupe à laisser paraître la trace de ces influences death metal avant que Magma ne les efface presque complètement. En attendant, L'Enfant Sauvage fait preuve d'une puissance dont on peut difficilement se lasser.

samedi 27 janvier 2018

Chronique : "Meteora" de Linkin Park

Comme toujours après le succès d'un premier album vient nécessairement la pression sur l'artiste lorsqu'il annonce l'arrivée du suivant. Linkin Park n'a certainement pas fait exception après le succès phénoménal de Hybrid Theory, rapidement sacré disque de platine après sa sortie en 2000. Leur première fournée les propulse parmi les grands noms du nu metal, un sous-genre pourtant en début de déclin à cette époque mais que la formation relance en le rendant un peu plus accessible. Autant dire que Meteora est particulièrement attendu à sa sortie en 2003. Mais s'il se vend bien, quoiqu'un peu moins bien que son prédécesseur, cet album suscite une petite déception critique, la plupart des critiques le qualifiant d'"Hybrid Theory Partie 2". Il est vrai que l'écoute d'un premier single comme Somewhere I Belong laisse penser que Linkin Park se repose quelque peu sur ses lauriers, notamment quand on perçoit la formule éculée "couplet rappé/refrain chanté". Cependant, une écoute plus attentive de Meteora montre que le groupe ne cède pas si vite à la facilité et prend quelques risques musicaux.


         Commençons par évacuer quelques motifs d'impression de déjà vu. Don Gilmore est à nouveau aux commandes de la production de ce deuxième album après avoir assuré celle du premier. En ajoutant le fait que les NRG Studios Hollywood Nord ont été également remobilisés pour l'enregistrement de Meteora, on imagine que Linkin Park se place clairement dans un terrain confortable. Il est également possible d'énumérer facilement les morceaux qui reprennent la structure musicale évoquée plus haut : en plus de Somewhere I Belong, Lying From You, Faint, From the Inside, et j'en passe. Pour dire les choses franchement, la première impression globale de Meteora est que le Linkin Park de 2003 ressert du Linkin Park de 2000 : un nu metal aux riffs simples et efficaces, à la section rythmique claquante, porté par l'alternance des chants de Chester Bennington et Mike Shinoda et saupoudré des scratchs et autres samples de Joe Hahn. Mais pour aller au-delà de ce qui semble être une redite, force est de constater que le groupe a introduit quelques éléments originaux à sa musique. La production est déjà légèrement différente du premier album, plus propre et plus ample, de quoi laisser un peu d'espace à l'ensemble des instruments. On trouve également quelques expérimentations comme Breaking The Habit, un titre résolument électronique et dénué de guitares saturées ; ou encore Nobody's Listening, purement orienté hip-hop avec quelques notes de shakuhachi.
        En réalité, ce qui peut nous sembler être une redite de Hybrid Theory n'en est pas vraiment une. En tout cas, l'impression que Meteora laisse à l'écoute n'est pas exactement la même. Certes, on pourra regretter un côté un peu plus accessible que rendent certains morceaux comme Breaking The Habit, Easier To Run et la grand tube Numb. Mais c'est également dans les textes que se fait une certaine évolution. Là où Hybrid Theory évoquait principalement la vie adolescente tourmentée de Chester Bennington, Meteora semble un peu plus ouvert vers des émotions universelles, et pas seulement négatives. Des morceaux comme Don't Stay ou Faint respirent la détermination à se battre contre les circonstances fâcheuses d'une vie, souvent relationnelles. Si le côté introspectif est toujours présent, les considérations sont beaucoup moins personnelles et vont vers des perspectives qui peuvent certainement parler à un peu plus de monde.

         Finalement, Meteora se montre comme un successeur un peu plus accessible à Hybrid Theory. Pour autant, l'album conserve une certaine hargne qui place Linkin Park dans les rangs du metal. On pensera notamment au chant hurlé de Chester Bennington dont vous pourrez vous rendre compte dans l'extrait ci-dessous. J'en reviens cependant à une conclusion que j'avais faite avec Hybrid Theory : Linkin Park saura encore une fois ravir ceux qui veulent faire un premier pas vers le monde du metal sans s'attaquer immédiatement à des tendances extrêmes.