mercredi 15 août 2018

Chronique : "Juggernaut" de Periphery

Un album-concept est presque un passage obligé pour tout bon groupe de metal progressif qui se respecte. Periphery l'a bien compris en sortant Juggernaut, un album-concept en deux parties sous-titrées respectivement Alpha et Omega. Le projet aura mis un certain à prendre forme puisque les premières idées émergent dans la tête du maître à penser et guitariste Misha Mansoor avant même que Periphery ne sorte sont premier album. Après des remaniements d'idées et la parenthèse Clear, qui aura certainement sa chronique dans Wormcore, Juggernaut finit par sortir en 2015 et constitue un album à la fois cohérent et très agréable à écouter, surtout une fois qu'on en a saisi les subtilités. Il nous plonge dans une histoire dérangeante que la musique du groupe illustre particulièrement bien.


        Si l'on se contente d'écouter Juggernaut seulement pour la musique, on voit au premier abord que Periphery conserve son style tout en l'étendant vers quelques nouvelles idées. Misha Mansoor et Adam "Nolly" Getgood sont à nouveau aux commandes de la production de Juggernaut après l'avoir été pour Periphery II et celle-ci reste toujours aussi précise, voire un peu plus que sur l'album précédent. Les guitares, par exemple, sont moins massives que dans Periphery II et laisse la production respirer davantage. En ce qui concerne la musique en elle-même, Periphery est toujours ce groupe aux morceaux techniques et remplis de déstructurations. On retrouve ainsi quelques gimmicks du combo tels que les riffs déstructurés à la Meshuggah (MK Ultra, Rainbow Gravity, Four Lights, The Bad Thing), les progressions d'accords bien propres (Heavy Heart, Psychosphere) ou les démonstrations techniques (le riff d'intro d'Omega). Album-concept oblige, le groupe joue dans une variété de dynamiques et d'humeur, qu'elles soient énergiques (Alpha, 22 Faces), mélancoliques (Heavy Heart, Priestess) ou carrément agressives (MK Ultra, The Bad Thing, Hell Below). Cela tient également à l'implication accrue de l'ensemble de membres de la formation alors que, pour rappel, l'essentiel de leur premier album a été composé par Misha Mansoor. C'est notamment le guitariste Mark Holcomb qui a l'idée d'intégrer des guitares acoustiques aux morceaux Heavy Heart et Priestess. Cependant, les amateurs de la première heure sauront que MK Ultra est une version remaniée de la démo Mr. Person qu'avait composé Misha Mansoor lorsque Periphery n'était pas encore un groupe. S'il y a également une évolution à noter, c'est celle du chant, puisque Spencer Sotelo étend largement sa palette vocale, même par rapport à l'album précédent qui montrait des progrès considérables de sa part. Le chant clair pourra toujours en rebuter certains, notamment pour son timbre haut perché et ses lignes mélodiques presque pop (Heavy Heart, Rainbow Gravity, Stranger Things). Cependant, on ne peut pas nier que la performance est techniquement impeccable et montre parfois quelques prouesses, comme le montrent les dernières lignes de chant à la Devin Townsend dans The Scourge. Les progrès se trouvent également dans le chant hurlé qui gagne en variété entre les cris déments, les growls bien placés (MK Ultra, les growls en fond dans The Bad Thing) ou les hurlements chantés (Heavy Heart, Omega). Idée bienvenue : l'intervention de chœurs sur certains titres, qui donnent un côté parfois inquiétant aux morceaux, notamment dans A Black Minute ou Psychosphere. On notera enfin que certaines lignes de chant reviennent dans plusieurs morceaux, que les paroles ou les mélodies soient légèrement altérées ou non, qui montrent que l'album tient dans un fil conducteur.
        La force de cet album réside en effet dans sa capacité à créer une atmosphère en lien avec l'histoire qu'il raconte. A la sortie de l'album, les membres du groupe s'étaient refusés d'en révéler l'intrigue, jusqu'à ce que Spencer Sotelo le fasse au cours d'une interview quelques temps après. Dans le cas présent, je me propose de donner simplement le cadre de l'album : inspiré notamment par Rosemary's Baby et la première saison de True Detective, Juggernaut raconte comment un jeune homme né au sein d'un culte satanique se trouve tiraillé entre les manipulations mentales dont il a été victime et sa bonne conscience qui le dégoute de ce qu'il doit accomplir pour le culte. L'ensemble forme une progression dans laquelle la partie Alpha présente en grande partie le cadre de l'histoire tandis que la partie Omega créé un pivot qui accélère l'intrigue vers sa conclusion. S'il semble y avoir quelques bizarreries entre ce que dit Sotelo et ce qui se trouve dans l'album, force est de constater que l'ensemble fonctionne plutôt bien et chaque morceau parvient à insuffler la bonne atmosphère selon ce qu'ils évoquent. Sans gâcher l'intrigue, quelques exemples s'imposent. Les morceaux d'ouverture A Black Minute et MK Ultra nous plongent au cœur du culte, le premier évoquant le rituel troublant qui donne naissance au personnage principal, le second exprimant la brutalité de la manipulation psychologique qu'il subit. 22 Faces sera d'ailleurs propice à montrer les séquelles d'un telle manipulation et la détresse qu'exprime alors le personnage central. Heavy Heart et Priestess montrent encore une fois la mélancolie qui passe par l'esprit du jeune homme à deux instants de l'histoire. The Scourge et Psychosphere constituent des moments d'introspection. Dans le premier, la structure du morceau rend compte de l'évolution de l'état d'esprit du personnage passant par la mélancolie, puis la colère, jusqu'à l'espoir. Psychosphere, quant à lui, marqué par des rythmiques lentes, lourdes et déstructurée, présente le personnage central prêt à passer à des actes extrêmes contre le culte. Enfin, The Bad Thing et Graveless évoquent clairement des instants de folie colérique, que ce soit par les rythmiques puissantes du premier ou par les motifs rapides de batterie dans le second. Tout cela s'applique aux instruments, mais également aux paroles qui, pour peu qu'on saisisse les tournures habiles de Sotelo, sont très évocatrices. Petite précision supplémentaire : le travail graphique réalisé par Justin Randall dans le livret est également très réussi et illustre parfaitement l'histoire de Juggernaut.

        Juggernautest clairement un album conçu pour une expérience de longue haleine. On peut éventuellement lui adresser quelques reproches comme la cohérence légèrement douteuse si on se réfère au propos de Spencer Sotelo et les quelques clichés inhérents à l'album-concept. Mais au-delà de ces détails, l'album est un bloc solide livrant une gamme d'émotions variées de la folie à la détresse en passant par la mélancolie dans un cadre particulièrement inquiétant et angoissant. Reste à voir si Periphery compte renouveler l'expérience dans les années à venir.

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