mardi 25 avril 2017

De l'esthétique violente

Qu'on se le dise, le metal est un genre de la grande famille du rock extrêmement vaste et divers. Pourtant, s'il y a bien une chose qu'on retient à l'écoute d'un morceau de metal, c'est presque toujours son caractère brut de décoffrage. Entre les guitares saturées, le rythme soutenu ou encore le chant surpuissant, le metal choque l'auditeur non averti. Il inspire alors soit du rejet devant une empreinte sonore aussi agressive, soit de l'admiration, voire de l'inspiration face à cette puissance sonore. Mais peut-on résumer le metal à son esthétique violente ? Est-ce qu'elle fait l'essence du genre ?

L'image globale qu'on peut avoir du metal renvoie la plupart du temps à ses tendances musicales les plus extrêmes. Sans compter qu'en observant son évolution, celle-ci semble s'inscrire dans une logique qui poursuit une certaine tradition du rock : la surenchère de la violence. Je vous épargne l'histoire complète de l'évolution du rock depuis les années 1950 jusqu'à l'apparition dudit metal. Mais pour résumer cela rapidement, on peut quand même noter une certaine escalade de violence depuis les standards de Bill Haley ou Chuck Berry jusqu'à l'apparition du hard rock et du heavy metal dit "traditionnel", représentés genres confondus par AC/DC, Led Zeppelin, Deep Purple, Black Sabbath ou encore Judas Priest. On peut observer une évolution similaire dans les mutations successives qu'a prit le metal.
        Pour vous donner un exemple, je me permets un saut dans le temps vers le milieu des années 1980, à l'époque où le thrash metal était déjà particulièrement agressif. Entre les riffs techniques de Metallica et Megadeth et les incursions hardcore d'Anthrax et de Slayer, je doute que la plupart musiciens de l'époque pensaient faire plus extrême. Sans compter que l'imagerie sataniste de Slayer, avec celle des anglais de Venom, contribuait à en effrayer et à en révolter plus d'un. Et pourtant, d'autres se sont amusés à rendre la chose encore plus morbide et agressive avec l'apparition progressive du death metal. Portée notamment par les pionniers que sont Possessed et surtout Death, cette révolution musicale introduit un style plus direct, incluant notamment le fameux death growl, à savoir, le chant guttural redouté par tout auditeur néophyte.


Pour autant, est-ce que cette violence est fondamentalement primaire et irréfléchie ? On pourrait penser que c'est le cas lorsqu'on fouille dans certaines mutations du metal comme le grindcore. Ce sous-genre issu du metal extrême et des variantes les plus brutales du hardcore se caractérise effectivement par son côté direct et sans concession. Il n'y a qu'à voir le fait que beaucoup de morceau de grindcore, en plus d'être d'une violence exacerbée, ont une durée très courte, certains ne dépassant pas la minute. D'ailleurs, pour ceux qui ne le sauraient pas, c'est Napalm Death, pionniers anglais du grindcore, qui détiennent le record du monde du morceau le plus court. You Suffer, issu de leur premier album Scum, est en effet d'une durée de 1,316 seconde.
        Paradoxalement, c'est pourtant à travers les sous-genres les plus chaotiques du metal que l'on peut soulever l'idée que la violence du genre n'est pas des plus primaires. Le mathcore en est un bon exemple, puisqu'il se caractérise par un style particulièrement déstructuré au premier abord, en jouant notamment sur les dissonances et les rythmiques asymétriques. Mais contrairement à ce qu'une opinion non éclairée pourrait penser, rien n'est laissé au hasard dans un morceau de mathcore et les musiciens se doivent d'avoir une importante maîtrise de leurs instruments respectifs. Un groupe comme Converge montre que ses membres font preuve d'une telle maîtrise. On notera au passage que le grindcore est l'une des influences majeures du mathcore avec ses bases de hardcore et de metal : comme quoi tout se recoupe !


J'ajoute également que certains groupes issu de mutations diverses de sous-genre font preuve d'une "violence maîtrisée" tout en maintenant une technicité exacerbé et une grande efficacité, comme le montre les américains de Dying Fetus, jouant dans les cours du deathgrind et du death metal technique.
        On voit que la violence est bien l'une des grandes caractéristiques qui font l'essence du metal. Mais celle-ci n'est pas nécessairement emprunte d'une brutalité primaire et elle n'est même pas non plus injustifiée. Elle est simplement conforme à un genre qui repousse sans cesse les limites de la puissance sonore, à la fois dans le but de choquer l'auditeur, mais également sans doute pour refléter un état d'esprit ou une émotion dans leur forme la plus intense. Ainsi le death metal ou le grindcore peuvent faire office de grand défouloir par leur lourdeur ou leur efficacité respective, là où le black metal, par la présence importante d'une atmosphère souvent sombre et malsaine, fait appel à un mal-être ou à une revendication spirituelle. Pour donner des exemples concrets, Gojira, dont j'ai déjà parlé dans ce blog, justifie sa puissance sonore par sa correspondance avec celle que produit la nature. Des groupes de deathgrind comme Cattle Decapitation pratiquent aussi un style ultra-violent et usent d'une imagerie morbide et gore pour choquer et sensibiliser à des causes comme le végétalisme.
        Pour finir, on notera qu'il ne suffit pas nécessairement de donner dans la violence pour faire de la musique de qualité. Non seulement, les groupes les plus mauvais sont souvent ceux qui n'ont aucune maîtrise de ce qu'ils font, mais l'accalmie est loin d'être malvenue dans le genre. Tesseract font notamment partie de ces groupes qui ont adoucit leur son tout en gardant une certaine identité et une bonne qualité musicale. Polaris, qui devrait un jour avoir sa chronique sur ce blog, ne laisse presque plus aucune place au chant hurlé, pourtant initialement présent dans quelques démos du groupe et dans leur premier effort, One. Ils conservent cependant leur groove très présent et accompagné d'atmosphères aériennes.