dimanche 18 février 2018

Chronique : "L'Enfant Sauvage" de Gojira

La décennie 2010 est clairement celle de la consécration pour Gojira. Les landais ont progressivement émergé depuis leur sud-ouest natal vers les plus grosses scènes internationales, en enchaînant les tournées et les festivals en Europe, en Amérique du Nord ou d'autres continents. Leur album The Way of All Flesh, sorti en 2008, leur a notamment permis de mener leur première tournée nord-américaine en tant que tête d'affiche en 2009. Après une tentative d'EP de soutien à l'association Sea Shepherd avortée, Gojira reprend du service en studio pour sortir en 2012 L'Enfant Sauvage sous le gros label Roadrunner Records. A l'écoute de ce cinquième effort, on peut clairement sentir une évolution dans le son de Gojira, mais tout en restant dans une certaine progression logique par rapport à l'album précédent.


        Avec The Way of All Flesh, Gojira avait fait un pas vers les Etats-Unis en faisant produire les parties de batterie par Logan Mader aux studios Undercity Recordings à North Hollywood, ce dernier s'étant également chargé du mixage et du mastering de l'album. Le terrain de jeu de L'Enfant Sauvage se situe cette fois-ci aux Spin Studios de Long Island pour la totalité de l'enregistrement. La production, toujours aussi précise et impeccable, est d'ailleurs signée par Joe Duplantier, le chanteur-guitariste et Josh Wilbur. En revanche, comme sous-entendu précédemment, la musique a quelque peu évolué : là où The Way of All Flesh joue beaucoup sur la technicité et la précision des musiciens pour faire ressortir les rythmiques syncopées, les riffs de L'Enfant Sauvage reposent moins sur la syncope tout en gardant une grande précision de jeu. On trouve cependant quelques exceptions telles que les intros d'Explosia et Pain Is a Master. Mais si la musique de Gojira se trouve quelque peu simplifiée, on peut imputer cela à l'atmosphère épique qui traverse l'album (l'intro à double pédale de The Axe, le pont de Liquid Fire, le refrain de The Gift of Guilt). Si l'on trouve également quelques passages furieux (Explosia, les blasts de Planned Obsolescence et Pain Is A Master, les growls de The Fall), la composition se fait beaucoup plus propre et beaucoup plus mélodique. Joe Duplantier continue de mélanger le chant hurlé au chant clair, mais ce dernier est beaucoup plus présent qu'auparavant comme en témoigne le titre Born In Winter dans lequel le chanteur va au plus bas de sa tessiture. On remarque également l'emploi du vocoder qu'on connaissait déjà dans l'album précédent, en particulier ici sur le refrain de Liquid Fire. Chose originale : Joe Duplantier s'est permis d'utiliser le son cristallin et caractéristique d'une Fender Telecaster pour les quelques arpèges atmosphériques d'Explosia et Mouth Of Kala.
        A priori, une grande partie du propos de Gojira ne change pas énormément de ce que l'on connaît déjà : la spiritualité et la philosophie sont toujours très présentes dans les paroles du groupe (L'Enfant Sauvage, Liquid Fire, The Gift of Guilt), tout comme l'est l'idée d'une conception cyclique de l'univers (Pain Is A Master, The Fall). La tendance écologique à laquelle on a tendance à réduire le groupe est assez peu présente pour privilégier une approche un peu plus sociale (Explosia, L'Enfant Sauvage, Planned Obsolescence). En revanche, l'atmosphère épique de l'album ajoute une dimension intéressante au sens des morceaux, donnant clairement l'impression que la spiritualité est une sorte de quête. C'est ce que l'on ressent à travers des images fortes et grandioses, comme celle de la hache (The Axe) ou du périple vers la repentance (The Gift of Guilt).

        Malgré l'impression de voir un groupe dont la musique est de plus en plus accessible, Gojira signe avec L'Enfant Sauvage un album riche et épique. Au moment de la sortie de l'album, on savait déjà que la musique de Gojira s'éloignait peu à peu de ses racines death metal pour forger son propre son sans pour autant renier cet héritage. Au moment de l'écriture de cet article, L'Enfant Sauvage est le dernier album du groupe à laisser paraître la trace de ces influences death metal avant que Magma ne les efface presque complètement. En attendant, L'Enfant Sauvage fait preuve d'une puissance dont on peut difficilement se lasser.