jeudi 28 décembre 2017

Chronique : "This Means War" d'Attack Attack!

Bon nombre de groupes suscitent débat quant à leur qualité musicale. Attack Attack!, originaire de Columbus dans l'Ohio, est justement ce genre de groupes que l'on aime ou que l'on déteste. La cause : un metalcore boosté aux synthés, Auto-tune et autres boîtes à rythmes venus tout droit de la musique électronique dansante. De quoi susciter l'admiration des amateurs de musique adolescentes en tous genres et la moquerie des puristes à l'esprit conservateur. Cependant, la musique d'Attack Attack! a fortement évolué depuis le délire "crabcore" pour lequel la formation est conspuée, une évolution due notamment aux changements de line-up récurrents. This Means War, le troisième et dernier album du groupe avant sa séparation, n'a plus grand chose à voir avec le son des débuts. Sorti en 2012, il s'agit du disque le plus brutal et le plus abouti du groupe qui pourrait le réconcilier avec certains détracteurs.


        Produit par le chanteur Caleb Shomo dans son home-studio, l'album est même quelque peu annonciateur du projet Beartooth que formera Shomo après son départ d'Attack Attack!. Qu'en est-il exactement ? J'entends par là un metalcore aux rythmiques très appuyées et syncopées. La principale différence reste les quelques synthés encore présents pour pimenter un peu le propos (la transition entre The Betrayal et The Hopeless, le pont de The Motivation, le basses typées dubstep dans The Confrontation). Autre aspect accessible qui, en revanche, restera dans Beartooth : le chant mélodique de Shomo sur la plupart des refrains, une première pour ce dernier qui se bornait auparavant aux hurlements. S'il s'avérait qu'un Auto-tune était appliqué sur sa voix, celui-ci doit être suffisamment discret pour ne pas être dérangeant. Pour le reste, le son est explosif et lourd. On passe régulièrement d'une vitesse exacerbée, soutenue par des motifs de batterie typiques du hardcore ; à un tempo plus modéré qui fait la part belle aux rythmes syncopés. D'ailleurs, on peut clairement sentir l'influence de la montée du mouvement djent comme en témoigne l'accordage des guitares au ras du sol et l'emploi de riffs presque élastiques (le premier couplet de The Revolution, l'intro de The Eradication). On est cependant loin d'une réelle complexité dans la composition. C'est même l'un des reproches que l'on pourrait faire à l'album : les structures des morceaux manquent souvent de variété et on peine à vraiment les singulariser, la liste homogène des titres n'aidant pas non plus à la tâche.
        Pour autant, This Means War n'est certainement pas un album réalisé à la va-vite. Sans en dire trop, il raconte une histoire inspirée en grande partie par la Seconde Guerre mondiale et qui se place du point de vue d'un soldat abusé par le système dans lequel il fait partie, notamment par le dictateur au sommet de sa hiérarchie. Derrière ce qui semble être une sorte de délire se cache une œuvre qui représente l'instabilité d'un esprit dans une situation qui le dépasse. Le titre d'ouverture, The Revolution, exprime la folie du personnage qui prend conscience des assassinats qu'il commet en tant que soldat. Cependant, au-delà de ce qui semble être une sorte de délire militaire qui colle à une musique brutale, on peut y voir, plus qu'une guerre contre un système totalitaire, un conflit avec soi-même, entre le moi qui se conforme au système auquel il appartient et celui qui remet en question le bien-fondé de ces actions. Cela n'est qu'une piste, mais elle semble pertinente dans la mesure où la folie et le conflit intérieur semble être des éléments bien présents au sein des paroles et dans les hurlements insensés de Caleb Shomo, de quoi correspondre avec l'explosivité sonore de l'album.

       This Means War est clairement un album-défouloir, dont les éléments qui ont fait la réputation d'Attack Attack! sont dilués au profit d'un son direct et brutal. Attack Attack! laisse un chant du signe plutôt convaincant, dont les thèmes de la folie et de l'adversité contribuent pleinement à une agressivité sonore qui sera encore une fois largement exploitée par Caleb Shomo dans son projet suivant Beartooth.

mercredi 8 novembre 2017

Billet d'humeur : la colère

Pour ce premier billet d'humeur, j'aborderai un sentiment qui vient le plus spontanément à l'esprit lors l'écoute d'un morceau de metal : la colère. Si la palette d'émotions qu'exprime ce genre musical ne se limite pas à celle-ci, force est de constater qu'il s'agit d'un moteur récurrent de l'esthétique globale d'un morceau. En effet, quoi de mieux qu'un brûlot efficace pour évacuer la nervosité et la tension ?
         On attaque sévèrement avec Elitist Ones de Whitechapel, un groupe de deathcore venant tout droit de Knoxville, dans le Tennessee. Avec ce titre extrait de leur dernier album en date Mark of the Blade, les américains martèlent leur colère envers les "soi-disant élitistes" et autres donneurs de leçons pour les replacer au même niveau que l'ensemble d'une humanité vouée à la disparition. Le propos est porté par les guitares sous-accordées, les rythmiques lourdes et la voix gutturale et agressive de Phil Bozeman. Si le rendu sonore semble moins puissant que les productions précédentes de Whitechapel, il n'en est pas moins suffisamment percutant pour faire passer le message.


        Les français de Gojira savent également faire ressentir le sentiment qui nous préoccupe aujourd'hui. Explosia, le titre d'ouverture de L'Enfant Sauvage, est clairement rempli d'une fureur qui se libère face à la pression sociale. On notera au passage qu'il doit s'agir du morceau le plus percutant de l'album, avec ses riffs syncopés et agressifs couplés aux hurlements déments de Joe Duplantier pour aboutir vers un final épique et casse-nuque. Une jolie entrée en matière pour un disque qui devrait bientôt avoir sa chronique dans ce blog.


        Pour finir, une fois n'est pas coutume, nous parlerons rap, mais pas n'importe lequel. Tech N9ne, également amateur de metal, se paie le luxe d'avoir ni plus ni moins Corey Taylor de Slipknot sur Wither, un hymne à la colère qui questionne son bien-fondé moral. Alternant les passages acoustiques et mélodiques, et ceux agressifs et nourris aux guitares saturées, le morceau montre deux facettes d'un personnage qui veut à la fois faire le bien mais ne peut que difficilement s'empêcher de céder à sa colère. Ce qui fait notamment la force de ce morceau reste les alternances des voix et des flow ultra-rapides de Tech N9ne et Taylor, tous deux faisant preuve d'une hargne propice à une collaboration réussie entre un rappeur et un chanteur de metal.


       C'est tout pour cet article, mais les morceaux susceptibles d'être traités sont tellement nombreux qu'une suite verra le jour. Un grand merci à Marine D. pour la suggestion de ce thème !

mercredi 11 octobre 2017

Chronique : "Periphery II : This Time It's Personal"

Après un premier album et des tournées ayant obtenu un franc succès, Periphery s'embarque rapidement dans la conception de leur second effort. Celui-ci marque notamment l'arrivée de Mark Holcomb à la guitare et d'Adam "Nolly" Getgood à la basse, également co-producteur de l'album. Le résultat creuse un peu plus l'identité de Periphery et se fait résolument plus organique, plus spontané, mais sans perdre le côté démonstratif de leur metal moderne, progressif et technique.


        Pour la première fois, Periphery bénéficient de l'Oceanic Studio de Taylor Larson (From First To Last) à Bethesda dans le Maryland pour enregistrer ses nouveaux morceaux, et ne se contentent pas de la chambre du cerveau du groupe, Misha Mansoor. L'approche sonore de la production se trouve même assez différente du premier album : là où ce dernier était marqué par un son extrêmement serré et précis pour faire ressortir la technicité du groupe, Periphery II est beaucoup plus massif et couvre davantage l'espace sonore tous instruments confondus. L'approche en termes de composition a également subi une évolution. Tout d'abord, c'est la première fois que d'autres membres hormis Mansoor participent à l'élaboration de nouveaux morceaux. Scarlet est d'ailleurs à l'origine une démo de Haunted Shores, un projet réunissant Mansoor et Holcomb. On peut ajouter à cela l'espace laissé au chant : même si on ne perd pas du tout en technicité, on sent que les morceaux ont été pensés pour laisser une place à la voix de Spencer Sotelo, contrairement à la majorité des morceaux du premier opus, qui étaient des démos instrumentales auxquelles on a ajouté des paroles. Disons un mot du chant puisque Spencer Sotelo a considérablement amélioré sa technique vocale, que ce soit pour ses hurlements plus agressif et plus variés (la démence de Ragnarok) ou ses envolées dans les aigus (Erised, Make Total Destroy). La palette de morceaux se fait toujours aussi variée, voire plus qu'auparavant grâce à l'apparition croissante des accélérations de rythme (l'intro de Have A Blast!, Make Total Destroy) en contraste avec les habituels passages à tempo modéré (Ji, Ragnarok, Masamune), ou encore l'émergence de tonalités majeures (Have A Blast! en tête). On peut également souligner , la présence d'interludes (Epoch en tête), toujours assurées par Jake Bowen, et les interventions de guitaristes invités, à savoir, Guthrie Govan sur Have A Blast!, John Petrucci (Dream Theater) sur Erised et Wes Hauch (à l'époque dans The Faceless) sur Mile Zero.
        A première vue, Periphery II est à l'image du premier opus en termes de fond : un ensemble de morceaux sans réel fil rouge si ce n'est de montrer ce dont les membres du groupe sont capables quant à leur maîtrise instrumental. Cela est vrai jusqu'à une certaine mesure. Un fait remarquable vient même prouver le contraire : l'album comporte une trilogie composée des morceaux Muramasa, Ragnarok et Masamune, jouant beaucoup sur les répétitions de motifs et de lignes vocales. Outre la référence aux armes de Final Fantasy, ces morceaux agissent comme des prises de conscience de notre monde contemporain en relation avec notre condition humaine, comme le font d'autres morceaux tels que Have A Blast!, Make Total Destroy ou Erised. Puisque je citais une série vidéoludique, l'album ne manquent clairement pas de passages épiques (Facepalm Mute, Scarlet) qui donnent l'impression d'une bande-son de jeu vidéo à l'instrumentation métallique. On notera au passage que c'est la première fois que Spencer Sotelo contribue intégralement aux paroles des morceaux.

        Finalement, Periphery a su très largement renouveler leur approche dans ce second album qui se trouve distinct de son prédécesseur. Si le groupe a quelque peu sacrifié la technicité caractéristique de leur premier album, c'est pour aborder l'écriture de manière moins froide et plus spontanée, afin de faire ressentir davantage de sens à leur musique, bien que l'album ne soit pas pour autant un bloc formant une unité cohérente. De quoi annoncer de bonnes augures pour les livraisons suivantes.

mercredi 13 septembre 2017

Chronique : "Pass Out Of Existence" de Chimaira

Formé en 1998 à Cleveland, dans l'Ohio, Chimaira est un grand nom de la New Wave Of American Heavy Metal des années 2000. Mais avant d'exploser, le groupe a connu bien des années de galère. Après quelques démos et un EP enregistré avec les moyens du bord, le groupe parvient à se faire connaître pour être signé chez la grosse écurie Roadrunner Records et sortir leur premier album en 2001. Pass Out Of Existence n'est pourtant pas l'album qui aura réellement permis à Chimaira de percer : les critiques les moins tendres les voient comme un "Korn du pauvre" et le combo lui-même a tendance à bouder ce premier essai. En termes de composition et de production, il est clair que Pass Out Of Existence est une exception majeure dans la discographie des américains.


        Contrairement à la majorité des albums de Chimaira, cet album a été enregistré dans le studio Third Stone de North Hollywood, en Californie, sous la houlette d'Andrew Murdock, connu pour avoir souvent collaboré avec Godsmack, un groupe de nu metal du début de la décennie. Si je cite ce groupe, c'est justement parce que l'étiquette "nu metal" est loin d'être impertinente en écoutant l'album. Si la production n'est pas aussi sale qu'un album de Slipknot, elle présente un son de guitares sous-accordées aussi tranchant que ronflant, une batterie mécanique mais de bonne augure, et surtout une grande mise en avant des samples et effets électroniques, relayant presque les autres instruments au second plan et rendant ainsi le résultat probablement moins percutant que ce qu'il aurait dû être. Concernant la composition, les morceaux ont le mérite d'être efficaces, très focalisés sur les tempos moyens, mais comprenant quelques accélérations (Let Go, Lumps), autant que de jolis ralentissements (les conclusions de Severed et Sphere). Mais la dynamique principale, marquées de riffs graves et syncopés, tendent justement à voir en Chimaira une version metalcore de Korn boostée aux samples industriels à la Fear Factory. En parlant des effets électroniques, en plus du mixage qui leur laissent un certain espace, certains titres présentent des passages purement dominés par ces arrangements, sans guitares et sans hurlements (l'intro de Dead Inside, le pont de Pass Out Of Existence, la toute fin de Jade). L'alternance entre les dynamiques, surtout celles du chant, penchent également en faveur de l'étiquette "nu metal" : si Mark Hunter délivre principalement des hurlements intenses, il s'illustre également par son chant clair proche de celui de Chino Moreno des Deftones (Dead Inside, Sp Lit, Taste My...) et surtout son chant rappé et murmuré rappelant forcément Corey Taylor de Slipknot (le phrasé de Painting The White To Grey ressemble énormément à celui de Purity). On note au passage la présence de Stephen Carpenter, guitariste des Deftones, sur Rizzo.
        L'expérience laisse-t-elle pour autant à désirer ? Y a-t-il quelque chose à tirer de cet album ? Il permet d'abord de voir d'où vient Chimaira, un groupe qui a certes du mal à démarrer mais qui s'annonce prometteur. Il est simplement pénalisé par la noyade des morceaux dans des influences plus ou moins voulues, le combo peinant alors à faire émerger une véritable identité musicale. Et si l'expérience n'est pas vraiment originale, elle vaut le coup d'oreille. L'atmosphère générale de l'album est sombre et froide, presque étouffante. On relève forcément le côté futuriste grâce à l'apport des samples. L'essentiel est de servir des textes personnels et variés. La plupart sont défaitistes, voire dépressifs et suicidaires (Lumps, Pass Out Of Existence, Painting The White To Grey, Sphere), à la voix introspective ou s'adressant à un tiers. Certains sont cependant plus offensifs et contribuent à l'efficacité des morceaux (Sp Lit, Rizzo, Forced Life). Finalement, on perçoit principalement l'expression d'une individualité envahie par la frustration et par le sentiment d'être seule et différente par rapport au monde qui l'entoure, des sentiments très bien exprimés par le morceau de conclusion, Jade.

        Pour certains, Pass Out Of Existence a l'air d'être un coup manqué pour Chimaira, la faute à un manque d'originalité et de mordant. Pourtant, il y a du bon à prendre de son côté froid et de son grand mélange d'influences, qu'elles soient volontaires ou non. Certains titres de l'album annoncent d'ailleurs ce que va devenir musicalement Chimaira pour les prochains albums : on pensera surtout à Severed, un morceau joué systématiquement en concert depuis la sortie de ce premier jet.

lundi 28 août 2017

Chronique : "Iowa" de Slipknot

Fort du succès de leur premier album et après avoir enchaîné les scènes dont celle prestigieuse du Ozzfest, Slipknot était attendu au tournant pour la sortie de son deuxième album en 2001. La pression était même tellement élevée qu'elle eut un impact impressionnant sur le groupe, principalement sur la relation entre ses membres, ceux-ci décrivant la production de l'album comme étant la période la plus sombre de l'histoire du groupe. Qu'à cela ne tienne, de cet amas d'émotions négatives, de haine et de dégoût est né Iowa, considéré comme l'album le plus sombre et le plus violent de Slipknot.


        Si Ross Robinson est toujours aux commandes de la production, il a quelque peu changé son approche pour capter la musique du groupe. Là où le premier album cherchait à rendre l'énergie des performances du gang masqué avec une production sale et suante, le son de ce deuxième opus est beaucoup plus propre, de quoi montrer la facette plus technique des compositions ; mais toujours en gardant un aspect massif dû au line-up étendu par les percussions et les samples. En ce qui concerne les morceaux en eux-mêmes, on garde cette dualité de dynamiques du premier album entre les morceaux violents et nerveux, et ceux plus lents et dérangeants. Cependant, l'ensemble se veut encore une fois beaucoup plus sombre qu'auparavant. A de rares exceptions près (I Am Hated), les influences hip-hop et le chant rappé de Corey Taylor se font plus rares. Le groupe laisse place à des tendances musicales plus extrêmes, lorgnant parfois vers le death metal pour les morceaux les plus agressifs (les blast beats de Disasterpiece, les riffs rapides et la double pédale de The Heretic Anthem). Pour les pièces plus lentes, un travail est apporté sur l'atmosphère malsaine, parfois laissant de côté les guitares au profit des percussions, des samples et surtout de la voix dérangée de Taylor (Skin Ticket, Iowa). Si je mentionne ce dernier pour la deuxième fois, c'est notamment parce que son chant est ce qu'on retient assez vite de l'album. Ses hurlements gutturaux et déments sont plus présents que jamais et donnent une impression de monstruosité bienvenue. Il se montre également capable d'insuffler de la mélodie dans ses lignes (My Plague, Left Behind, les deux singles de l'album). A noter que Taylor a enregistré certaines de ses parties dans des circonstances particulières : je vous laisse chercher la manière dont il a exécuté sa performance pour le glauque Iowa, qui conclut l'album.
        La musique entraîne fatalement l'auditeur dans une atmosphère propice à l'agression sonore. Encore une fois, à l'époque de la production de l'album, il s'agissait pour les membres de Slipknot de canaliser leur haine et la violence ambiante à travers leur musique. Avec le recul, certains d'entre eux déclarent même être effrayés par leur création. Certains morceaux font ainsi preuve d'une misanthropie explicite (People = Shit, Disasterpiece, The Heretic Anthem) quand d'autres relèvent davantage du dérangement mental ( (515) avec la voix du DJ Sid Wilson, Skin Ticket, Iowa). Au-delà de ces deux aspects, la souffrance est également un élément présent au sein des paroles (le dépressif Everything Ends, The Shape, Metabolic). On peut estimer que la voix qui s'exprime tout au long d'Iowa est à la fois celle d'une victime qui souffre le martyr et d'un bourreau qui crache sa haine à travers des formules explicites et remplies de jurons, ou qui use de son imagination pour décrire son état mental et des scènes de torture sadique. Cependant, comme l'illustre les paroles de Gently, il s'agit sûrement d'une façade, d'un jeu de rôle, notamment pour celui du bourreau. Slipknot exprime d'ailleurs des sentiments proprement humains, mais les poussent à leur paroxysme pour en tirer quelque chose de monstrueux, une facette encore accentuée par le port des masques. Iowa est finalement un pur objet de catharsis, que ce soit pour le groupe à travers leur créativité ou pour l'auditeur qui vit une expérience brutale. Ce dernier se sentira agressé par la violence musicale ou s'y identifiera pour évacuer une énergie négative tel que l'a fait le groupe.

        Slipknot peut être un groupe assez controversé : pour les esprits les plus conservateurs, c'est la violence directe et explicite qui pose problème. Pour apprécier Iowa, il faut certainement le prendre avec un certain recul et le voir comme le résultat d'une expression spontanée et comme un objet de défouloir. Quant à ceux qui ne se reconnaissent pas dans le côté nu metal du premier album, ce deuxième essai propose quelque chose de bien plus brutal, propice à introduire les oreilles non habituées à des franges plus extrêmes du metal. Et si le mélange des genres leur posent problème, qu'ils sachent qu'ils ont un esprit aussi conservateurs que ceux qui abhorrent l'agression sonore.

mardi 25 avril 2017

De l'esthétique violente

Qu'on se le dise, le metal est un genre de la grande famille du rock extrêmement vaste et divers. Pourtant, s'il y a bien une chose qu'on retient à l'écoute d'un morceau de metal, c'est presque toujours son caractère brut de décoffrage. Entre les guitares saturées, le rythme soutenu ou encore le chant surpuissant, le metal choque l'auditeur non averti. Il inspire alors soit du rejet devant une empreinte sonore aussi agressive, soit de l'admiration, voire de l'inspiration face à cette puissance sonore. Mais peut-on résumer le metal à son esthétique violente ? Est-ce qu'elle fait l'essence du genre ?

L'image globale qu'on peut avoir du metal renvoie la plupart du temps à ses tendances musicales les plus extrêmes. Sans compter qu'en observant son évolution, celle-ci semble s'inscrire dans une logique qui poursuit une certaine tradition du rock : la surenchère de la violence. Je vous épargne l'histoire complète de l'évolution du rock depuis les années 1950 jusqu'à l'apparition dudit metal. Mais pour résumer cela rapidement, on peut quand même noter une certaine escalade de violence depuis les standards de Bill Haley ou Chuck Berry jusqu'à l'apparition du hard rock et du heavy metal dit "traditionnel", représentés genres confondus par AC/DC, Led Zeppelin, Deep Purple, Black Sabbath ou encore Judas Priest. On peut observer une évolution similaire dans les mutations successives qu'a prit le metal.
        Pour vous donner un exemple, je me permets un saut dans le temps vers le milieu des années 1980, à l'époque où le thrash metal était déjà particulièrement agressif. Entre les riffs techniques de Metallica et Megadeth et les incursions hardcore d'Anthrax et de Slayer, je doute que la plupart musiciens de l'époque pensaient faire plus extrême. Sans compter que l'imagerie sataniste de Slayer, avec celle des anglais de Venom, contribuait à en effrayer et à en révolter plus d'un. Et pourtant, d'autres se sont amusés à rendre la chose encore plus morbide et agressive avec l'apparition progressive du death metal. Portée notamment par les pionniers que sont Possessed et surtout Death, cette révolution musicale introduit un style plus direct, incluant notamment le fameux death growl, à savoir, le chant guttural redouté par tout auditeur néophyte.


Pour autant, est-ce que cette violence est fondamentalement primaire et irréfléchie ? On pourrait penser que c'est le cas lorsqu'on fouille dans certaines mutations du metal comme le grindcore. Ce sous-genre issu du metal extrême et des variantes les plus brutales du hardcore se caractérise effectivement par son côté direct et sans concession. Il n'y a qu'à voir le fait que beaucoup de morceau de grindcore, en plus d'être d'une violence exacerbée, ont une durée très courte, certains ne dépassant pas la minute. D'ailleurs, pour ceux qui ne le sauraient pas, c'est Napalm Death, pionniers anglais du grindcore, qui détiennent le record du monde du morceau le plus court. You Suffer, issu de leur premier album Scum, est en effet d'une durée de 1,316 seconde.
        Paradoxalement, c'est pourtant à travers les sous-genres les plus chaotiques du metal que l'on peut soulever l'idée que la violence du genre n'est pas des plus primaires. Le mathcore en est un bon exemple, puisqu'il se caractérise par un style particulièrement déstructuré au premier abord, en jouant notamment sur les dissonances et les rythmiques asymétriques. Mais contrairement à ce qu'une opinion non éclairée pourrait penser, rien n'est laissé au hasard dans un morceau de mathcore et les musiciens se doivent d'avoir une importante maîtrise de leurs instruments respectifs. Un groupe comme Converge montre que ses membres font preuve d'une telle maîtrise. On notera au passage que le grindcore est l'une des influences majeures du mathcore avec ses bases de hardcore et de metal : comme quoi tout se recoupe !


J'ajoute également que certains groupes issu de mutations diverses de sous-genre font preuve d'une "violence maîtrisée" tout en maintenant une technicité exacerbé et une grande efficacité, comme le montre les américains de Dying Fetus, jouant dans les cours du deathgrind et du death metal technique.
        On voit que la violence est bien l'une des grandes caractéristiques qui font l'essence du metal. Mais celle-ci n'est pas nécessairement emprunte d'une brutalité primaire et elle n'est même pas non plus injustifiée. Elle est simplement conforme à un genre qui repousse sans cesse les limites de la puissance sonore, à la fois dans le but de choquer l'auditeur, mais également sans doute pour refléter un état d'esprit ou une émotion dans leur forme la plus intense. Ainsi le death metal ou le grindcore peuvent faire office de grand défouloir par leur lourdeur ou leur efficacité respective, là où le black metal, par la présence importante d'une atmosphère souvent sombre et malsaine, fait appel à un mal-être ou à une revendication spirituelle. Pour donner des exemples concrets, Gojira, dont j'ai déjà parlé dans ce blog, justifie sa puissance sonore par sa correspondance avec celle que produit la nature. Des groupes de deathgrind comme Cattle Decapitation pratiquent aussi un style ultra-violent et usent d'une imagerie morbide et gore pour choquer et sensibiliser à des causes comme le végétalisme.
        Pour finir, on notera qu'il ne suffit pas nécessairement de donner dans la violence pour faire de la musique de qualité. Non seulement, les groupes les plus mauvais sont souvent ceux qui n'ont aucune maîtrise de ce qu'ils font, mais l'accalmie est loin d'être malvenue dans le genre. Tesseract font notamment partie de ces groupes qui ont adoucit leur son tout en gardant une certaine identité et une bonne qualité musicale. Polaris, qui devrait un jour avoir sa chronique sur ce blog, ne laisse presque plus aucune place au chant hurlé, pourtant initialement présent dans quelques démos du groupe et dans leur premier effort, One. Ils conservent cependant leur groove très présent et accompagné d'atmosphères aériennes.

vendredi 3 mars 2017

Chronique : "Lost In Nebula" d'I The Omniscient

Comme le nu metal dans les années 2000, on comprend que la vague djent du début de la décennie ait suscité une certaine admiration, notamment chez les plus jeunes. Qu'à cela ne tienne, les parisiens d'I The Omniscient, aujourd'hui séparé, a largement puisé ses influences dans une grosse partie du catalogue de Sumerian Records et d'artistes divers et variés, même hors metal (cf. l'épisode de 2Guys1TV qui leur est consacré, la vidéo avec laquelle je les ai découverts). Formés en 2010, ils sortent leur premier et seul EP un an plus tard. Intitulé Lost In Nebula, il montre assez bien les qualités d'un groupe qui se cherche encore mais qui assure le boulot correctement.


Ce premier jet vient évidemment jeter les bases du style du groupe : un metal moderne et technique, pas nécessairement original, mais doté d'un bon sens de la composition et d'une bonne maîtrise instrumentale. Encore une fois, la composition est issue d'une pioche dans des influences diverses et variés : les blast bleats et envolées du death metal technique, les breakdowns typique du metalcore moderne ou encore les grooves imparables à la Meshuggah. On a même des éléments d'ambiance et des ajouts en post-prod : la conclusion orchestrale de The Parallel (coucou Born Of Osiris), l'incursion dubstep sur Transcending Reality et les quelques passages en guitares claires dignes d'Animals As Leaders. On remarque là encore que l'originalité n'est pas vraiment au rendez-vous. Mais l'effort de composition vient équilibrer la donne : rien n'est gratuit et les enchaînements sont propres. Seule exception : en prenant l'EP tel quel, l'ensemble dégage un côté fourre-tout, même si les morceaux s'enchaînent finalement assez bien. A noter deux titres remarquables : le long morceau A Hostile Entity et l'instrumental Contemplation.
        Côté instruments, d'ailleurs, les musiciens savent ce qu'ils font et sont suffisamment carrés sans être mécaniques, un plus quand on sait que la scène djent tend vers la précision à outrance. Cette propreté s'applique autant sur les guitares que sur la section rythmique. Quant au chant, le vocaliste délivre principalement des hurlements typés hardcore proche du style d'Oliver Sykes de Bring Me The Horizon. On trouve également quelques passages en chant clair, notamment boosté au vocoder pendant un court instant. Se constate également quelques gang vocals et un invité, Steve Garner du groupe de death metal progressif The Bridal Procession, qui délivre des growls agressifs sur A Hostile Entity.
         Vis-à-vis du contenu des paroles, sans avoir creusé vraiment de ce côté-là, I The Omniscient semble tourner autour des notions d'états modifiés de consciences, de perception parallèle et de métaphysique. En l'occurrence, A Hostile Entity a des allures apocalyptiques et, comme l'indique le titre, à travers une figure transcendante et puissante.
        Quant à la production, le rendu correspond assez bien aux morceaux : propre ou sans mécanisation ou effets inutiles. Le son de guitare notamment, quoiqu'assez générique, est plaisant à entendre.

En définitive, le seul effort d'I The Omniscient se révèle assez convaincant, et on regrettera assez la séparation du groupe pour voir s'ils auraient pu trouver leur patte personnelle autour de leur foisonnement d'influences. D'ailleurs, cet EP est disponible gratuitement sur leur Bandcamp : jetez-vous donc dessus, ça vaut le coup !