mercredi 12 juin 2019

Chronique : "Periphery III: Select Difficulty" de Periphery

On aurait pu penser que Periphery étaient au sommet de leur art après le double-album Juggernaut. Souvenez-vous, cet album-concept finement élaboré nous permettait de voir la capacité de la formation à livrer une œuvre technique, cohérente et à l'atmosphère bien maîtrisée. Si Periphery III: Select Difficulty n'est pas un album-concept, force est de constater que le groupe de Washington D.C. trouve toujours des moyens de se surpasser en confirmant ses acquis et en amenant de nouveaux éléments sur la table.


        Une chose remarquable est que, paradoxalement, Periphery parvient à faire du neuf avec du vieux en faisant revenir quelques éléments typiques de leur premier album. Cela s'applique déjà aux conditions d'enregistrement puisque la plupart des parties ont été enregistrées dans le home-studio de Misha Mansoor, une situation typique du musicien et producteur de la scène djent qui enregistre ses morceaux à la maison avec les moyens du bord. De même, les principales parties vocales ont été réalisées dans le studio personnel du vocaliste Spencer Sotelo. La batterie, quant à elle, a été enregistrée en Angleterre, dans une installation plus importante gérée par le bassiste et producteur Adam "Nolly" Getgood, seule exception à la règle. Les réminiscences du premier album s'appliquent aussi musicalement. On remarque déjà que deux anciennes démos ont été retravaillées et remises au goût du jour, en l'occurrence, Absolomb et Chocolate Flobs, renommée Motormouth pour l'occasion. On retrouve ainsi des riffs et des parties typiquement influencés par Meshuggah de manière plus nette dans ces morceaux-là, mais également dans d'autres comme Habitual Line-Stepper ou Flatline. Pour le reste, Periphery nous assène toujours de son style technique, virtuose et varié puisque l'on garde un certain partage des tâches d'écriture initié dans les albums précédents : les démos évoquées précédemment sont évidemment issues de l'esprit de Misha Mansoor tandis que certains reconnaîtront par exemple la patte stylistique de Mark Holcomb dans The Way the News Goes... On retrouve également quelques traits de Juggernaut comme l'utilisation des chœurs (Marigold, The Way the News Goes..., Habitual Line-Stepper, Lune), l'allure de certaines mélodies (cette impression d'avoir entendu la mélodie du refrain de Prayer Position dans des morceaux précédents...) ou la présence croissante d'éléments électroniques (Remain Indoors, les leads d'Absolomb qui sont doublés par des lignes de synthétiseur analogique). La grande nouveauté de cet album est la présence d'une formation orchestrale qu'on retrouve dans plusieurs morceaux et dans diverses transitions, de quoi donner un caractère épique à l'album (Marigold, Absolomb, Lune).
        Avec autant d'éléments différents, on pourrait se demander si Periphery III ne risque pas de retomber dans un défaut qui leur était reproché pour leur premier album, à savoir, l'impression d'une succession de démonstrations techniques plutôt qu'un ensemble cohérent tel qu'on a pu le voir avec Juggernaut. Si ce quatrième opus n'est pas un album-concept qui forme un tout, le groupe n'a plus pour autant l'intention de présenter une heure d'esbroufe. Un élément qui s'est dessiné avec Juggernaut et qui revient dans cet album est la place plus importante consacrée aux parties vocales dans le processus d'écriture, ce qui permet de penser de manière plus effective au sens des morceaux. Encore une fois, c'est un travail sur les atmosphères qui permet de rendre un ensemble cohérent entre l'instrumentation et la voix et de varier les humeurs. Nous pouvons ainsi retrouver dès l'ouverture de l'album des morceaux particulièrement agressifs comme The Price is Wrong, qui attaque directement sur un blast beat et ne présente pas un seul passage en chant clair. Au lieu de cela, Spencer Sotelo hurle sa rage contre le gouffre entre sa génération et celle qui la suit et la bêtise dont cette dernière peut faire preuve. De manière plus générale, nous retiendrons d'ailleurs la propension du chant hurlé à être beaucoup plus incisif qu'auparavant, comme nous le montrent par exemple les growls dans Flatline. L'album aborde également des thèmes assez sérieux. Marigold, par exemple, ironise sur notre société qui privilégie le matériel au spirituel et voit la mort comme une chose angoissante et vite arrivée, le tout dans une atmosphère épique et très influencée par le vieux rock progressif. Un autre morceau notable est Flatline, qui traite du problème du harcèlement. Ce morceau montre d'ailleurs une structure très particulière : une première partie directe et très dynamique qui présente le calvaire, la torture mentale et l'appel à l'aide du harcelé ; puis une transition vers une atmosphère plus bienveillante, comme une réponse à cet appel à l'aide. Enfin, ce second pan de Flatline est assez représentatif de plusieurs morceaux de l'album qui se veulent empreint d'un message positif. The Way the News Goes..., Absolomb et Lune font clairement partie de cet ensemble qui font état d'un message d'espoir face à des problématiques relationnelles ou de santé mentale. Ces trois morceaux présentent d'ailleurs une progression mélodique récurrente que l'on trouve en fin de morceau en guise de transition. Cette progression mélodique est en fait celle de Lune qui clôt l'album en apothéose sur le thème de l'amour, visiblement cher au chanteur Spencer Sotelo comme il le fait comprendre en concert.

        Avec ce quatrième album, Periphery montre qu'ils savent toujours faire passer des émotions et ne font pas de démonstrations purement gratuites. Aussi le fait de ne pas faire d'album-concept leur permet de conserver une part d'expérimentation musicale et de mobiliser à nouveau des anciennes influences sans pour autant donner l'impression d'une régression. L'ensemble est ainsi très efficace et fait vivre de grands moments de metal progressif moderne. On ne peut que souhaiter que cela se poursuive avec Periphery IV: Hail Stan, sorti quelques mois avant la publication de cet article.

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